Le géant minier est débouté en Cour supérieure du Québec dans sa poursuite contre des auteurs.
(Photo : Éditions Écosociété)
La Cour supérieure du Québec a ordonné à la société aurifère Barrick Gold Corporation de verser une provision à trois auteurs pour les frais de l’instance en diffamation intentée contre eux après la publication d’un livre critiquant les agissements de certaines sociétés minières canadiennes en Afrique.
Le jugement rendu dans cette importante affaire sur la liberté d’expression en vertu de la loi sur les mesures anti-SLAPP (les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique ou « poursuites-bâillons ») constitue une victoire pour les auteurs de Noir Canada : Pillage, corruption et criminalité en Afrique et les Éditions Écosociété, à qui le géant minier Barrick Gold réclamait 6 millions de dollars en dommages-intérêts.
Dans son jugement du 12 août 2011, la cour statue que « Barrick semble chercher à intimider les auteurs » et que la poursuite intentée par la société est « en apparence abusive ». Elle fonde ses conclusions sur les faits suivants : la menace exercée par Barrick d’entreprendre un recours avant même d’avoir lu le livre, la réclamation de 6 millions de dollars en dommages-intérêts (un montant nettement supérieur aux 25 000 $ accordés auparavant), et la tenue de longs interrogatoires au préalable.
Une autre société aurifère, la Banro Corporation, a également déposé une poursuite en diffamation de 5 millions de dollars contre les auteurs et leur éditeur.
Le Québec est la première juridiction au Canada à s’être donnée une loi contre les poursuites-bâillons afin de permettre aux défendeurs qui, estimant être poursuivis pour s’être exprimés ou avoir pris parti dans le cadre d’un enjeu public, sollicitent le rejet de l’action.
Une poursuite-bâillon est une action judiciaire — essentiellement une poursuite en diffamation sans fondement, entreprise contre des individus ou des organismes en vue de faire taire les critiques. La loi régissant ce type de poursuite vise à empêcher qu’une demande en justice mal fondée, abusive, frivole ou vexatoire puisse être formée dans le but de restreindre la liberté d’expression.
Pierre Noreau, professeur de droit au Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal, se félicite que le tribunal québécois ait accordé une grande importance à la loi, confirmant ainsi que la nécessité constitue pour les défendants un moyen de défense valable.
« Cette affaire concerne non seulement Barrick, Écosociété et les auteurs, mais aussi la liberté d’expression et le droit d’un intellectuel d’exprimer ses opinions par écrit et de les défendre publiquement », a-t-il fait valoir. « Les universitaires doivent pouvoir faire entendre leurs idées dans le cadre d’un débat intellectuel. »
Le livre Noir Canada n’a pas encore été publié en anglais à cause des mêmes menaces de poursuites en diffamation qui pèsent sur l’éditeur Talonbooks de Vancouver.
Pour les opposants à la censure, cette affaire conduit à s’interroger sérieusement sur les efforts que Barrick déploierait pour contrôler l’information et les résultats des recherches sur l’industrie minière et les conséquences des pratiques des sociétés minières dans le monde. Barrick a souvent été accusée d’atteintes aux droits humains internationaux et à l’environnement.
Les membres de la communauté de l’Université de Toronto ont protesté publiquement contre le don de plusieurs millions de dollars offert par le fondateur et président de Barrick Gold, Peter Munk, pour la création de la Munk School for Global Affairs, invoquant le spectre des poursuites en diffamation que l’entente de financement brandit sur la liberté académique.