Ce n’est pas un hasard si ma rubrique de ce mois-ci emprunte son titre à un article que ma prédécesseure Penni Stewart a rédigé dans le numéro de décembre 2009 du Bulletin. Si ce titre décrivait à l’époque une réalité bien concrète, celle-ci se révèle davantage inquiétante aujourd’hui. Nous ne pouvons passer sous silence la situation critique qui mine actuellement la bibliothéconomie dans nos universités et nos collèges, pas plus que nous ne pouvons ignorer la nécessité, pour l’ensemble du personnel académique, de défendre vigoureusement cette partie intégrante du milieu de l’éducation postsecondaire.
La profession de bibliothécaire académique est devenue la proie des gestionnaires « petits comptables » pour qui la technologie est un moyen de faire un coup d’argent plutôt qu’un outil pour renforcer l’enseignement, le savoir et la recherche dans nos établissements, même lorsqu’elle contribue à la désintégration de nos bibliothèques et de la profession de bibliothécaire. À l’heure même où des flux d’informations se déversent sur nous sous toutes les formes et à partir de toutes les sources possibles, il est à la fois très étonnant et paradoxal que le rôle des bibliothécaires puisse être jugé moins qu’essentiel.
Dans son article, Penni énumérait diverses manières dont les coups sont portés contre les bibliothécaires académiques. Leurs fonctions sont dégroupées et leurs postes sont déqualifiés quand ceux-ci ne sont tout simplement pas éliminés par les administrateurs des bibliothèques. Dans la foulée, une grande partie du travail généralement considéré comme relevant de la compétence des bibliothécaires académiques est confiée à du personnel insuffisamment qualifié ou déléguée en sous-traitance à l’externe. Des démarches sont entreprises pour tenter de dévaloriser les compétences spécialisées normalement associées aux bibliothécaires professionnels et de rabaisser ces derniers au rang de « généralistes », de sorte à accroître la marge de manoeuvre de la direction des établissements.
De façon générale, les administrateurs des bibliothèques invoquent deux raisons pour justifier cette transformation : la nécessité de couper dans les budgets et l’accès à de nouvelles technologies de l’information permettant de moderniser le fonctionnement des bibliothèques. Mais lorsqu’ils sont mis au défi de faire évoluer leurs établissements en cette ère axée sur l’information, les administrateurs sont généralement prompts à favoriser les nouvelles technologies dans le but de bonifier les services offerts à leur clientèle.
Cette réalité est d’autant plus troublante que le recours à ces technologies est presque toujours perçu comme le moyen privilégié pour réduire les budgets. D’ailleurs, les administrateurs saisissent l’occasion de faire appel à la technologie pour justifier la déqualification et la décomposition généralisées du travail des bibliothécaires académiques, ce qui leur permet ensuite de réaffecter ce travail à du personnel de bibliothèque moins rémunéré ou d’éliminer des tâches relevant normalement des bibliothécaires académiques.
Mais dans un cas comme dans l’autre, nos établissements se retrouvent en fin de compte avec des effectifs bibliothécaires largement diminués, beaucoup moins aptes à offrir un appui expert à l’enseignement, au savoir et à la recherche, et consacrant une portion beaucoup moins importante de leur travail professionnel à l’intérêt supérieur du milieu académique. Pour les dirigeants de nos établissements soucieux de sabrer dans les budgets, cependant, c’est mission accomplie.
S’il va sans dire que l’information et nos bibliothèques évoluent au diapason de la technologie, les principes fondamentaux sur lesquels reposent la profession de bibliothécaire académique demeurent inchangés; ils transcendent les plates-formes technologiques. Toute l’information est destinée à être utilisée. Elle doit être rendue accessible au plus grand nombre d’utilisateurs possible, avec le moins d’entraves possible, dans un minimum de temps et avec un maximum d’efficacité. Elle doit pouvoir s’adapter aux nouveaux supports et formats. Elle doit être fournie de manière à faire comprendre tout élément de subjectivité dont elle peut être empreinte. Et dans tout cela, ce sont les bibliothécaires académiques qui contribuent à décrire, à extraire et à gérer cette information au bénéfice de la communauté académique.
Il semble maintenant que, dans leurs discussions, les administrateurs des bibliothèques cherchent davantage à faire des choix technologiques en fonction des intérêts généraux et commerciaux de leurs établissements tout en visant à augmenter le taux de fréquentation des bibliothèques, mais faisant fi de la qualité du service offert. La technologie pousse les gestionnaires à s’intéresser davantage aux moyens de présenter et de fournir l’information qu’à son contenu, ce que les bibliothécaires académiques sont chargés de faire et, surtout, ce qu’ils comprennent.
Cette mentalité qui privilégie la technologie au détriment des bibliothécaires se traduit en bout de ligne par une détérioration désastreuse de la qualité du milieu académique. Les bibliothécaires contribuent à part entière à l’enseignement, au savoir et à la recherche dans leur ensemble, dans la mesure où ils soutiennent les droits du personnel académique dans tous nos campus et où, en tant qu’universitaires formés et qualifiés, ils s’acquittent de leurs propres activités d’enseignement, d’érudition et de recherche.
Les associations de personnel académique doivent travailler ardemment, lors des négociations, à faire inclure dans leurs conventions collectives des dispositions qui non seulement assurent la protection des bibliothécaires et de leur profession, mais qui reconnaissent ces professionnels comme des membres à part entière de la communauté acadé-mique et leur garantissent tous les droits et protections consentis aux autres membres du personnel académique. Et les associations doivent redoubler d’efforts pour défendre ces dispositions en permanence.
Qui plus est, il incombe à tous les autres membres du personnel académique de repenser les façons dont les bibliothécaires sont perçus et décrits sur nos campus. Les considérons-nous comme des agents d’information ayant pour seul rôle de soutenir nos étudiants et notre travail? Ou les considérons-nous comme des universitaires et collègues, avec tout ce que cela suppose, ayant pour mission de servir notre communauté?