Les auteurs de la lettre ouverte : James Turk (gauche), directeur général, et Wayne Peters, président de l'ACPPU.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la liberté universitaire se trouve menacée par l’organisme qui représente les recteurs des universités canadiennes. Dans une
lettre ouverte adressée à l’Association des universités et collèges du Canada, l’ACPPU souligne l’ironie dans le fait que l’organisation ait choisi précisément la commémoration de son centenaire pour publier une nouvelle
déclaration sur la liberté universitaire susceptible de réduire à néant les progrès réalisés dans ce domaine au cours du siècle dernier.
« Dans leur quête pour obtenir du soutien financier, les universités subissent de plus en plus de pressions afin qu’elles se désintéressent de la défense de la liberté universitaire : une notion élargie — et non pas plus restrictive — de celle-ci s’impose donc », font valoir Wayne Peters et James Turk, respectivement président et directeur général de l’ACPPU, dans la lettre transmise à leurs homologues de l’AUCC.
« L’un des grands problèmes que nous constatons dans les universités au Canada n’est pas que trop de personnes revendiquent leur liberté universitaire, mais qu’il y en ait trop peu », écrivent-ils.
La déclaration de 2011 de l’AUCC ne fait aucunement mention des éléments essentiels de la liberté universitaire, telle la liberté d’expression et d’action hors des enceintes universitaires, reconnue pour la première fois dans l’importante déclaration de principe adoptée en 1915 par la nouvelle association des professeures et professeurs d’université des États-Unis (AAUP). La liberté d’expression à l’extérieur du campus est le droit conféré au personnel académique de prendre part au débat public sans crainte de représailles de la part de la direction de leur établissement.
Bon nombre des cas les plus célèbres en matière de liberté universitaire avaient trait à des tentatives visant à supprimer le droit d’universitaires de joindre leur voix au débat public. Mentionnons notamment le congédiement de Bertrand Russell du Trinity College à Cambridge en 1916 puis du City College de New York en 1940 pour ses positions impopulaires sur des questions d’intérêt public.
La lettre dénonce aussi le fait que la déclaration ne souffle pas mot du droit de chacun de critiquer publiquement son propre établissement — l’un des éléments primordiaux de la liberté universitaire, selon l’interprétation qui en est donnée au Canada et ailleurs dans le monde. Ce droit est explicitement protégé dans la majorité des conventions collectives du personnel académique des établissements dont les recteurs ont adopté à l’unanimité la déclaration de 2011 de l’AUCC.
Celle-ci ne reconnaît pas non plus que les trois volets du travail du personnel universitaire, soit l’enseignement, la recherche et le service, sont tributaires de la liberté universitaire.
Les auteurs de la lettre s’inquiètent également de ce que le texte de l’AUCC allie liberté universitaire et autonomie des établissements d’enseignement.
Et d’ajouter : « Bien évidemment, les établissements d’enseignement supérieur ne doivent pas restreindre la liberté du corps professoral universitaire sous des pressions extérieures, qu’elles soient politiques ou religieuses ou encore le fait d’un groupe présentant des intérêts particuliers. À ce chapitre, les établissements doivent faire preuve d’autonomie. Or, combien de fois a-t-on entendu qu’en creusant des fossés autour des universités, on protège la liberté universitaire : une telle affirmation relève de la fourberie et n’accorde aucune considération à la réalité que constituent les menaces internes à la liberté universitaire. »
« En 1915, l’AAUP avait pris la mesure de ce type de menaces, provenant des conseils d’administration, des directions, des collègues et de la population étudiante. Il est donc curieux que l’AUCC fasse abstraction de ce danger près de 100 ans plus tard. »
Par ailleurs, les auteurs de la lettre affichent leur inquiétude face à la volonté de l’AUCC de voir la liberté universitaire assujettie aux normes professionnelles dans les disciplines universitaires, à la mission que se fixe chaque établissement et aux besoins de celui-ci — ce qui permettrait de légitimer les établissements qui imposent un test d’obédience idéologique ou de foi comme condition d’embauche dans la mesure où de telles exigences restrictives seraient conformes à la mission de l’université.
Lors de l’allocution qu’il a prononcée le mois dernier devant les délégués réunis à l’occasion de l’assemblée du conseil de l’ACPPU, James Turk a déclaré : « Nous ne sommes pas disposés à laisser un organe administratif balayer un siècle d’avancées par la formulation d’une nouvelle définition du fondement de l’enseignement postsecondaire. »
« Les associations de personnel académique doivent s’imposer, comme priorité immédiate et absolue, de passer en revue les dispositions relatives à la liberté universitaire dans leurs conventions collectives pour garantir à leurs membres une protection totale et adéquate. »