Pourquoi ces changements sont importants pour la communauté scientifique.
Le Programme de subventions à la découverte accordées par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) est à la base de la recherche scientifique universitaire au Canada depuis plusieurs dizaines d’années. Généralement, il était attendu des membres du corps professoral actifs en recherche qu’ils détiennent une subvention à la découverte. Les subventions à la découverte sont la principale source d’aide financière aux étudiants des cycles supérieurs complémentés par les programmes d’assistanat en enseignement et les bourses d’études, les dernières provenant surtout de programmes du CRSNG.
Au cours des deux dernières années, le processus d’octroi des subventions et l’énoncé de mission du Programme de subventions à la découverte ont subi de nombreux changements. Tout a commencé par l’idée qu’un taux de renouvellement élevé ne pouvait être synonyme d’excellence. Aucun argument rationnel n’était en mesure de dissiper cette idée, ni même le grand appui exprimé par un examen international lancé en 2008
1.
Le Programme de subventions à la découverte offre un financement de base qui constitue souvent la seule source de financement pour les programmes de recherche (par opposition aux projets) au Canada, par conséquent, un taux de réussite élevé est attendu de tout système stable. (Note : Un membre du corps professoral ne peut faire qu’une seule demande de subvention à la découverte, donc un faible taux de réussite signifie un taux d’attrition élevé du nombre de chercheurs universitaires actifs.)
L’examen international faisait l’éloge du programme
1. Il soulignait la grande qualité de la recherche effectuée au Canada et la variation relativement faible de la qualité des publications en fonction de la taille des subventions. Parallèlement le processus d’octroi des subventions a été réévalué par un comité national, afin d’élaborer une structure permettant de mieux répondre aux besoins grandissants de la science multidisciplinaire.
Pour éliminer tout parti pris au sein des comités de sélection des subventions envers leur domaine de recherche principal, un modèle de conférence a été adopté. Les chercheurs présentent leur projet à un de seulement douze groupes d’évaluation axés sur les disciplines. Ce groupe à son tour établit un comité d’évaluation reflétant le domaine de recherche du candidat. La grande corrélation entre les sommes octroyées au renouvellement et antérieurement à un candidat a souvent été critiquée lorsqu’il était question de l’ancien processus de sélection. Cette méthode a été remplacée en calculant le financement à partir d’une cote assignée à chaque demande en fonction de trois critères d’évaluation : (i) l’excellence du chercheur; (ii) le mérite de la proposition de recherche; (iii) les réalisations et les plans de formation en recherche.
Chaque critère se voit attribuer une valeur parmi les suivantes : exceptionnel, remarquable, excellent, très élevé, élevé, moyen ou insuffisant. La cote totale, sans apports supplémentaires du comité, détermine la nouvelle subvention du candidat. Le CRSNG a fièrement montré la décorrélation totale des subventions accordées grâce à des graphiques affichant la distribution des nouvelles attributions en comparaison des attributions antérieures. Le taux de réussite a également chuté de manière significative à une valeur entre 60 % et 70 %.
La situation est aggravée par le financement inadéquat du Programme de subventions à la découverte. Ce programme n’a pas reçu d’entrées importantes de capitaux, malgré l’augmentation importante du nombre de candidats, dont de nombreuses Chaires de recherche du Canada, et cet automne, des titulaires des Chaires d’excellence en recherche du Canada.
Toutefois, le déclin du taux de réussite n’est pas le seul changement notable. La conversion des résultats en valeur monétaire n’est pas une fonction linéaire et elle favorise fortement les cotes les plus élevées, conduisant à une grande disparité dans les subventions, et entraînant une diminution importante ou aucun octroi à de nombreux candidats
2. Cela comprend la plupart des nouveaux membres du corps professoral (appelés « chercheurs en début de carrière ») et les premiers renouvellements, à qui aucun traitement préférentiel n’est accordé.
La surprise des concours de 2011 est la petite taille des subventions pour les chercheurs en début de carrière, ce qui annonce un changement de fond sur la façon dont la recherche universitaire sera soutenue au Canada.
La signification de l’annonce du CRSNG de ne financer que les recherches excellentes commence seulement à émerger. Bien que cette annonce n’ait pas soulevé l’inquiétude à l’origine, en raison de la perception générale chez les universitaires que la recherche au Canada est de haut calibre, une révolution est en cours. Le CRSNG entend seulement soutenir adéquatement les meilleurs et n’offrira pas de financement de base suffisant pour la recherche universitaire, devenu néanmoins indispensable pour les universités au cours des dernières décennies. Les effets sont particulièrement néfastes pour les chercheurs en début de carrière. La faiblesse des subventions de départ compliquera le maintien de l’excellence chez la plupart d’entre eux, à moins qu’ils détiennent d’autres sources de financement, par exemple, par une Chaire de recherche du Canada.
Ceux qui appliquent pour leur premier renouvellement sont aussi de grands perdants, car une perte
de financement peut mettre leur carrière en péril. La nouvelle philosophie voulant que « le gagnant rafle tout » ne laisse aucune place au soutien ou à la récupération après des interruptions dans la recherche. Contrairement à de nombreux autres pays, comme les États-Unis et la Communauté européenne, il n’existe pas de fonds internes pour maintenir l’activité de recherche de base si les subventions à la découverte du CRSNG sont coupées ou si elles sont insuffisantes.
La perte d’un financement général de base touchera plus fortement les établissements plus petits dont le corps professoral a de lourdes charges d’enseignement. Cette nouvelle réalité risque de changer radicalement la vie sur les campus. L’augmentation de la concurrence pour les subventions à la découverte aura un impact sur la collégialité, en concentrant les subventions entre les mains d’un groupe élite qui défendra agressivement leurs programmes de recherche en minimisant leur participation à l’enseignement, l’administration et les services à la communauté.
Ces activités ne sont pas reconnues par les organismes subventionnaires, qu’il s’agisse du CRSNG ou des Instituts de recherche en santé du Canada, et réduisent seulement le temps accordé à la recherche. Pourquoi un chercheur courrait-il le risque de perdre ne serait-ce qu’un point à sa cote, quand cela pourrait conduire à une baisse de financement de dizaines de milliers de dollars en haut du classement?
Toute tentative d’augmenter l’intensité de la recherche sur les campus dans un système principalement financé par des subventions provinciales axées sur le nombre d’inscriptions exerce une pression supplémentaire sur les ressources utilisées pour les études de premier cycle. Il est connu que ces ressources ont atteint leurs limites, comme en témoigne la préoccupation nationale croissante sur la diminution de la qualité de l’expérience étudiante
3.
La baisse actuelle du taux de réussite réduira le nombre de membres du corps professoral participant à la formation supérieure, et favorisera l’augmentation de la taille des groupes de recherche. Qui lira toutes les thèses rédigées? Qui donnera tous les cours de niveau supérieur? Maintenant que la formation du personnel hautement qualifié est une si haute priorité dans le Programme de subventions à la découverte et que la recherche fondamentale n’est plus centrale au mandat des laboratoires gouvernementaux, de nombreux domaines de pointe de la science pourraient être touchés, car bien qu’ils attirent les étudiants les plus brillants, ils ne les attirent pas en grand nombre.
Le système favorise les grands groupes et les grands établissements. Il limite la participation des étudiants du premier cycle à la recherche, en particulier dans les petites universités qui offrent traditionnellement une excellente formation de premier cycle et qui préparent certains de nos meilleurs scientifiques. Mais la plus grande préoccupation à long terme concerne le recrutement des jeunes chercheurs dans les universités canadiennes en tant que membres du corps professoral. Avec l’accent placé sur les étoiles, il n’y aura pas le soutien nécessaire pour permettre aux nouveaux membres du corps professoral de devenir des chercheurs accomplis.
Les changements au sein du Programme de subventions à la découverte du CRSNG tirent leur origine d’un climat idéologique qui pourrait faire l’objet d’un examen en profondeur. Cependant, dans ce commentaire, je mettrai de l’avant seulement deux arguments.
D’abord, nos organismes subventionnaires rendent compte au ministère de l’Industrie. Nous n’avons pas de ministère des Sciences et des Technologies. Au Conseil national de recherches, sous la présidence de John McDougall, seuls les quelques domaines clés pouvant clairement démontrer leur potentiel de commercialisation à court terme seront pris en charge
4. Même si les intentions sont bonnes, il ne s’agit pas d’une politique scientifique, mais bien d’une politique industrielle
5. Par sa nature même, la science est un investissement à long terme.
Ensuite, les changements au sein du CRSNG et les nouveaux programmes lancés par le gouvernement suggèrent que la nouvelle philosophie consiste à financer généreusement les personnes « surperformantes » qui sont les plus susceptibles de produire des percées majeures. À la base de cette philosophie est la croyance que la plupart des recherches universitaires sont inutiles, et que seule la recherche de quelques étoiles est significative. Wayne Hocking milite fortement contre une telle philosophie dans un article d’opinion récent publié dans
La Physique au Canada6. Il indique que la plupart des avancées sont le résultat d’années de recherches progressives. En discutant la découverte du laser, Charles Townes démontre à quel point cette découverte dépendit d’une quantité phénoménale de recherches sur la spectroscopie atomique et sur l’étude des faisceaux atomiques, des sujets ayant en soi peu de valeur commerciale
7.
La motivation du programme des Chaires de recherche du Canada et des programmes de la Fondation canadienne pour l’innovation sous le gouvernement libéral de Paul Martin consistait à rattraper le retard, en injectant des fonds dans la recherche universitaire ou fondamentale et de renverser l’exode des cerveaux. Le gouvernement de Stephen Harper donne suite à cette initiative avec des fonds plus ciblés au CRSNG et une nouvelle catégorie de super Chaires de recherche du Canada, les Chaires d’excellence en recherche du Canada (CERC), qui ont obtenu leur poste de professeur au cours de la dernière année. Ces injections de capitaux sont positives lorsqu’elles ne sont pas réalisées au détriment du financement de base.
Comme les discussions avec les représentants du CRSNG lors du Congrès de l’Association canadienne des physicien(ne)s, en juin dernier l’ont révélé, le Programme de subventions à la découverte est à court d’argent et son budget n’a pas été augmenté pour répondre à la demande croissante qui comprend les nombreuses demandes provenant des nouveaux programmes de chaire de recherche. Par conséquent, une fraction importante des chercheurs reçoivent moins de financement, s’ils en reçoivent du tout. Pour aggraver les choses, cette année, les titulaires de Chaires d’excellence en recherche du Canada seront également admissibles à ce programme.
Il est donc temps de passer à la défense du Programme de subventions à la découverte. Le sous-financement du programme aura des répercussions importantes sur la diversité de la recherche et sur le soutien des jeunes professeurs dans les universités canadiennes. L’Association canadienne des physicien(ne)s a récemment distribué aux directeurs de départements de physique des notes d’allocution pour faire pression sur leur administration supérieure afin de venir à la rescousse du Programme de subventions à la découverte. Ces notes fournissent une série d’arguments expliquant l’importance vitale du programme pour les universités. Voici un résumé personnel des trois arguments :
(i) Effets sur la relève : Des taux de réussite inférieurs réduisent les possibilités de recherche pour les étudiants du premier cycle. Cela affectera particulièrement les petits établissements qui produisent des diplômés de qualité. La qualité de la formation des diplômés souffrira de la réduction du nombre de superviseurs et de plus grands groupes. Ces grands groupes peuvent être attrayants pour certains, mais ils peuvent aussi nuire à d’autres. De nombreux scientifiques se rappellent avec émotion les années où ils travaillaient en étroite collaboration avec leurs superviseurs.
(ii) Effet sur l’innovation ou sur le transfert de la technologie : L’innovation ne peut être forcée et elle peut se produire n’importe où. L’insuffisance du financement de base réduit le nombre d’individus engagés. Un grand nombre de chercheurs financés suffisamment et travaillant sur des problèmes fondamentaux est nécessaire pour qu’émergent de nouvelles idées.
(iii) Effet sur le recrutement et sur la rétention des professeurs : Un financement faible de la majorité des membres du corps professoral, en particulier des chercheurs en début de carrière, pourrait entraîner un nouvel exode des cerveaux et compromettre la rétention de la prochaine génération de membres réguliers du corps professoral dévoués à l’enseignement et fournissant une formation de qualité aux générations de chercheurs canadiens à venir.
La présentation de ces arguments à la haute direction ne doit pas être laissée aux seuls directeurs de départements. L’importance de la recherche fondamentale comme investissement dans notre prospérité à long terme devrait être soulignée à gros traits aux représentants gouvernementaux. Le Programme de subventions à la découverte est le coeur même et l’âme du financement de la science au Canada, et nous devons tous travailler ensemble pour nous assurer qu’il fournit un financement adéquat à la recherche fondamentale d’où émergeront l’excellence scientifique et de nouvelles technologies.
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Béla Joós est professeur de physique à l’Université d’Ottawa et rédacteur en chef de
La Physique au Canada.
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Liza Duhaime.
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Références
1.
Rapport du comité d’examen international du programme de subventions à la découverte et B. Joós, «
Atteindre le juste équilibre au sein du programme de subventions à la découverte du CRSNG ».
2. Pour les statistiques complètes sur l’attribution des subventions à la découverte consultez
http://www.nserc-crsng.gc.ca/nserc-crsng/fundingdecisions-decisionsfinancement/DGSummary-SDSommaire_fra.asp.
3. James Bradshaw, “Universities acknowledge erosion of the undergraduate experience,” Globe and Mail, 5 septembre 2011 (première page); et “Canadian universities must reform or perish,” Globe and Mail, 11 octobre 2011 (éditorial).
4. Barrie McKenna, “John McDougall: Hungry for better ‘return’ on research,” Globe and Mail, 5 août 2011.
5. Pauline Gravel, « Un secteur négligé par les partis politiques — Et la recherche scientifique? », Le Devoir, 30 avril 2011.
6. Wayne Hocking, “
In Praise of Incremental Steps and Modest Ideas”.
7. Charles Townes, “
The 50th anniversary of the laser”.