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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

janvier 2012

Le savoir autochtone peut enrichir nos campus

Par Wayne Peters
À titre de président de l’ACPPU, j’assiste à une foule de confé­rences, d’ateliers et de forums ayant pour thème les enjeux importants qui touchent l’éducation postsecon­daire et son personnel académi­que. Ainsi, j’ai participé en novembre dernier au troisième forum organisé par l’ACPPU à l’intention du personnel académique autochtone, qui a réuni à Vancouver quelque 100 professeurs et étudiants autochtones au niveau postsecondaire.
     
Une cérémonie de bienvenue et en l’honneur des terres ancestrales des Salish du littoral a ouvert le forum. Elle véhiculait en filigrane un message fort : où que nous soyons, nous foulons, en simples visiteurs, la terre ancestrale de quelqu’un. À l’instant même où j’écris ces lignes, il me vient à l’esprit que ma maison à l’Île-du-Prince-Édouard se trouve sur la terre ancestrale de la Nation Mi’kmaq, qui appelle l’Île « Epek­witk », soit « l’île bercée par les vagues ». Je vous encourage tous à vous renseigner sur les premiers habitants du lieu où vous vivez et travaillez.
     
Les deux grands axes du forum étaient, premièrement, la reconnaissance et la mise en valeur du savoir autochtone dans le milieu académique, et deuxièmement, les situations vécues par les professeurs autochtones relativement à l’octroi de la permanence et des promotions. Les séances plénières et les cercles de discussion ont donné lieu à de vigoureux échanges de vues au cours desquels les participants ont fait état de leurs expériences et de leurs aspirations personnelles. J’approfondirai ici le premier axe.
     
Dans la première séance pléni­ère, Maxine Matilpi, membre de la Première nation Kwakiutl à Fort Rupert et professeure de droit à l’Université de Victoria en Colombie-Britannique, a traité de l’éducation qui se fait « sous la table ». Remontant dans le temps, elle a raconté qu’à l’âge de cinq ans, sa cousine était chargée de la mission importante de trier et de compter des boutons, assise sous la table sur laquelle sa mère, sa grand-mère, ses nombreuses tantes et d’autres femmes cousaient de magnifiques couvertures.
     
Ce portrait illustre l’essence même des méthodes propres aux Autochtones en matière d’enseignement, d’apprentissage et d’érudition. Le savoir autochtone fait corps avec l’esprit communautaire. Il s’acquiert et se transmet par la pratique. Il repose sur l’expérience, l’incarnation, la répétition et le plaisir, et les aînés y jouent un rôle capital. Dans l’exemple ci-dessus, chaque collabo­ratrice donne et obtient beaucoup dans cette oeuvre collective, particulièrement la petite assise sous la table.
     
Dans le spectre des points de vue exprimés par nos différentes communautés autochtones, le savoir n’est pas limité à la compréhension du monde physique environnant. Se­lon une approche holistique, il est aussi fondé sur le respect du monde métaphysique, qui est intimement lié au monde physique, et la reconnaissance de sa valeur. Cependant, un tel modèle est trop souvent per­çu comme contraire aux modèles plus eurocentriques adoptés par la plupart de nos établissements actuels.
     
Il demeure donc extrêmement difficile d’intégrer le savoir autochtone dans un cadre académique qui n’a jamais été conçu ou pensé pour reconnaître et appuyer, ou récompenser, des approches et des points de vue de ce genre. Comment, dans ce cas, créer un milieu académique qui favorise l’épanouissement de la conscience, de la langue et de l’identité des peuples autochtones et qui est dépouillé de tout parti pris ethnocentrique?
     
La réponse nous a été fournie par l’orateur suivant dans la première séance plénière du forum, Dan Longboat, un Mohawk de la bande ontarienne Six Nations of the Grand River et le directeur du programme d’études environnemen­tales autochtones à l’Université Trent.
     
Pour mettre en valeur et faire avancer les fondements du savoir autochtone, il ne suffit pas de protéger le mode de vie des Premières nations. Il importe aussi de donner à ces peuples d’importants moyens d’action. Pendant trop longtemps, les Autochtones et leur savoir n’ont pas été jugés à la hauteur, manquant de crédibilité et demeurant en deçà des normes « reconnues ».

Dan prétend qu’il faut transfor­mer entièrement notre façon de penser pour que le savoir autochtone soit vu comme une force vive, une source riche en enseignements et en apprentissages. Il estime que, pour faciliter cette transformation, l’enseignement du savoir autochtone ne doit pas être réservé aux étudiants autochtones, mais s’étendre à tous les étudiants.
     
La stratégie la plus efficace pour amener le milieu académique à s’ouvrir au savoir autochtone consiste à montrer la contribution que l’épistémologie autochtone peut y appor­ter dans la réalité. Le virage est fondamental : au lieu de bâtir un programme d’études sur le savoir autochtone, on intègre la perspective autochtone à tous les programmes d’études. Dans cette optique, le savoir autochtone cesse d’être une « chose » pour devenir un « processus ». La réflexion ne porte plus sur l’importance de l’éducation postsecondaire pour faire avancer les intérêts des communautés autochtones, mais sur les réa­lisations des peuples autochtones qui sont jugées essentielles au dé­veloppement du milieu académique.
     
À l’évidence, les membres autochtones du personnel académique de nos campus se heurtent à des obstacles majeurs en matière d’inclusion et d’équité. De ce fait, ils ne peuvent participer pleinement à la vie académique ni constituer la masse critique nécessaire à l’application de la stratégie préconisée. Le forum de Vancouver ne pouvait assurément passer ces obstacles sous silence.
     
On a notamment dénoncé la non-reconnaissance des liens uniques qui existent entre les universitaires autochtones et leurs familles élargies ainsi que leurs communautés. Les universitaires autochtones ne mettent pas ces liens au vestiaire à leur arrivée sur le campus, puisque ceux-ci font partie intégrante d’eux-mêmes. Tout le travail accompli par un universitaire autochtone dans le milieu académique doit donc avoir un écho dans sa communauté. Cependant, un tel travail est généralement considéré comme un service, et non comme la recherche appliquée ou l’acte professionnel qu’il est en réalité. Le refus d’accepter les méthodes non traditionnelles en matière d’érudition demeure l’un des plus grands freins à l’équité.
     
Les surcharges de travail découlant de la sous-représentation des Autochtones dans le personnel académique constituent un autre obstacle. Soucieux de promouvoir l’inclusion, nos établissements attendent souvent des universitaires autochtones qu’ils siègent à un nombre disproportionné de comités pour présenter les points de vue des communautés autochtones. De même, les professeurs autochtones prennent généralement sous leur aile un plus grand nombre d’étudiants que leurs confrères non autochtones, en réponse aux demandes d’accompagnement permanent des étudiants autochtones.
     
Le numéro de L’Actualité en négociation de l’ACPPU intitulé « La négociation de l’inclusion des membres autochtones du personnel académique » est consacré à ces obstacles et à d’autres. On y trouve des conseils pratiques pour négo­cier l’incorporation de dispositions touchant l’équité dans les conventions collectives, de manière à accroître la représentation des Autochtones dans le corps professoral en adoptant des politiques de nomination plus équitables et des procédures de recrutement proactives, en instaurant des méthodes d’octroi de la permanence et des promotions plus équitables qui tiennent compte des approches non traditionnelles des Autochtones, en reconnaissant les charges de travail souvent plus lourdes et en prévoyant plus de congés de décès pour refléter les liens uniques des Autochtones avec leurs familles élargies et leurs communautés.
     
Les participants ont été invités à témoigner des activités qui se sont déroulées pendant le forum. Toutefois, il est vraiment primordial que chacun de nous soit à la fois un témoin de la lutte engagée pour que tous trouvent leur place dans nos établissements et un acteur énergi­que dans cette lutte. L’enjeu : l’ouverture de nos campus au savoir autochtone.