Informé de la diffusion, en octobre dernier, de la nouvelle
déclaration sur la liberté académique de l’Association des universités et collèges du Canada, Jon Thompson, auteur du livre
No Debate: The Israel Lobby and Free Speech at Canadian Universities, a fait le commentaire suivant : « Je vois une certaine ironie perverse dans le fait que, le jour même de son 100e anniversaire, l’AUCC réduit à néant bon nombre des progrès accomplis sur le front de la liberté académique au cours du siècle dernier. »
Cette petite phrase véhicule à elle seule l’essence même de la nouvelle déclaration de l’AUCC, une charge massive, sans précédent, contre la liberté académique. Il est triste de constater que l’attaque ne vient pas de l’extérieur, mais des administrateurs à la tête des établissements d’enseignement.
J’ai déjà tiré la sonnette d’alarme sur la transformation fondamentale que connaît en ce moment l’éducation postsecondaire au Canada, et qui a des conséquences désastreuses sur nos étudiants, nos établissements, nos communautés et notre pays. Cette transformation est l’oeuvre de plusieurs, mais nos établissements y jouent un rôle actif, comme le confirme la déclaration de l’AUCC. Devant cet état des choses, l’ACPPU — et les associations qui y sont affiliées — est, à l’évidence, la seule organisation à se porter résolument à la défense du milieu académique sur la base de principes.
Dans sa nouvelle définition, l’AUCC établit une équation dangereuse entre liberté académique
et autonomie de l’établissement d’enseignement. L’Association laisse entendre qu’en protégeant l’établissement contre des influences extérieures, on préserve du même coup la liberté académique. Un plaidoyer en faveur de l’autonomie de l’établissement ne doit pas occulter totalement, comme c’est le cas ici, les menaces intestines très réelles, et trop courantes, qui pèsent sur la liberté académique et dont, ironiquement, la déclaration de l’AUCC est un bon exemple. La défense de l’autonomie ne peut contribuer à miner la liberté académique.
Cependant, l’affirmation selon laquelle les besoins et la mission de l’établissement encadrent la liberté académique est encore plus troublante. Les contraintes de l’établissement l’emportent alors toujours sur la liberté académique. Il y a lieu de s’inquiéter fort d’une telle position, alors que le corps professoral a de moins en moins voix au chapitre dans les décisions institutionnelles
et que la gouvernance collégiale traditionnelle cède le pas à une gestion d’entreprise descendante.
La plupart d’entre nous conviendraient que la liberté académique est la caractéristique essentielle du milieu académique. Cette liberté est la pierre angulaire de nos activités — l’enseignement, les activités savantes et la recherche —, toutes basées en bonne partie sur une investigation rigoureuse des choses. Très franchement, tout membre du personnel académique qui pense pouvoir accomplir ses tâches en étant privé de cette liberté manque à ses responsabilités d’universitaire.
Néanmoins, j’ai l’impression que de nombreux universitaires ne considèrent pas la liberté académique à sa juste valeur. Nous y accordons peu de place dans nos réflexions, nos discussions et nos publications intellectuelles. Nous savons que la liberté académique existe, mais nous la tenons pour acquise. Nous avons perdu de vue sa valeur et, malheureusement, la nécessité de la défendre en reconnaissance de la place indispensable qu’elle occupe dans la vie académique. Jusqu’au jour où, évidemment, nous avons besoin de sa protection.
Pendant ce temps, la liberté académique devient de plus en plus fragile, à la faveur de notre indifférence dans une société dont la tolérance à la dissension s’amenuise. Dans le milieu académique, elle est un obstacle de taille à la volonté intéressée des administrateurs de transposer plus ou moins le modèle de l’entreprise dans nos établissements d’enseignement. En redéfinissant et en encadrant la liberté académique de manière à en restreindre la portée, comme le fait la nouvelle déclaration de l’AUCC, nous donnons aux administrateurs les moyens d’exercer un dangereux contrôle sur le milieu académique, les établissements d’enseignement et le corps professoral.
La liberté académique doit faire partie intégrante de notre travail, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la salle de classe. Les établissements ont l’obligation de la préserver, et non de la moduler en fonction de leurs missions. En conséquence, les administrateurs doivent rendre des comptes à cet égard.
La déclaration de l’AUCC vient ainsi rappeler à tous les membres du personnel académique que la liberté académique mérite leur attention entière. Pour l’ACPPU et ses associations membres, elle constitue véritablement un point de ralliement, un catalyseur, pour mobiliser le personnel académique en vue d’une défense active et constante de la liberté académique. Elle interpelle chacun d’entre nous pour que nous renouvelions notre engagement à l’égard de la liberté et du milieu académiques, à une époque où l’éducation postsecondaire au Canada est gravement ébranlée.
Il ressort d’une discussion sur la liberté académique tenue dans le cadre de l’assemblée du Conseil de l’ACPPU en novembre dernier que la négociation collective demeure le mécanisme le plus efficace pour s’assurer que la liberté académique protège entièrement et adéquatement le personnel académique.
Les associations membres de-vraient revoir le libellé des dispositions qu’elles ont adoptées sur ce sujet et les renforcer au besoin. Un libellé ferme est notre première arme. Au bout du compte, les politiques de l’AUCC ne peuvent annuler les décisions qui sont le fruit de négociations collectives. La clause modèle de l’ACPPU sur la liberté académique montre les éléments à inclure dans les conventions collectives.
Une comparaison de cette clause et de la déclaration de l’AUCC révèle notamment que celle-ci est loin d’être complète. La déclaration de l’AUCC est muette sur la liberté académique en dehors de l’établissement — qui est, en fait, l’assurance que nous n’avons pas à craindre d’être frappés de sanctions disciplinaires de la part de notre établissement lorsque nous exerçons nos libertés civiles. Elle ne reconnaît pas le droit à la liberté académique au sein même de l’établissement, y compris le droit de critiquer librement l’établissement ou ses dirigeants. Enfin, elle fait abstraction d’un aspect de la liberté académique, soit la liberté de servir l’établissement d’enseignement, la profession et la communauté.
Il faudra tout de même plus qu’un libellé ferme. L’ACPPU et ses associations membres doivent saisir l’occasion d’inviter tout le personnel académique à faire front commun pour que la liberté académique redevienne l’assise absolue et nécessaire du milieu académique. Une liberté académique définie par le milieu, et non par des administrateurs qui se sont donné une mission. Les recteurs des établissements d’enseignement doivent se prononcer sur la position collective adoptée par l’AUCC. Demandez-leur des comptes.
En conclusion, remercions, d’une certaine façon, l’AUCC de nous avoir extraits de notre état de complaisance.