En juin dernier, le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) a effectué une démarche auprès de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il s’agissait de réserver une salle pour la tenue d’une conférence publique en date du 8 septembre portant sur les enjeux de la guerre et de la sécurité nationale dans l’après 11-Septembre.
La conférence constituait un événement commémoratif pour les victimes des attaques du 11-Septembre et mettait l’accent sur les crimes de guerre commis par les États-Unis et l’OTAN à l’endroit de l’Afghanistan (2001) et l’Irak (2003), sous le prétexte de mener, sous un mandat humanitaire, une guerre contre le terrorisme.
Le CRM avait soumis un projet détaillé aux instances de l’UQAM avec les noms des conférenciers et les sujets abordés.
Parmi les conférenciers invités figurait Wayne Madsen, journaliste d’enquête ayant une vingtaine d’années d’expérience sur les questions de sécurité nationale. M. Madsen a travaillé entre autres pour l’Agence de sécurité nationale (National Security Agency) et le département d’État étasunien. Son exposé portait sur la sécurité nationale, la manipulation médiatique et le terrorisme.
Cynthia McKinney, ancien membre (démocrate) du Congrès des États-Unis et candidate pour le Parti vert aux élections présidentielles, était aussi au programme le jour de l’événement. Mme McKinney se penchait sur les guerres issues du 11-Septembre ainsi que sur la question des droits de la personne aux États-Unis au lendemain du 11-Septembre.
Aussi comme invité, correspondant à Tripoli durant les bombardements de l’OTAN et associé de recherche du CRM, Mahdi Darius Nazemroaya.
La demande de réservation a été refusée par le recteur de l’UQAM, Claude Corbo, en consultation avec le directeur du Service de la prévention et de la sécurité de l’UQAM ainsi que d’autres instances de l’Université. Après le refus de l’UQAM, la conférence-débat a eu lieu le 8 septembre 2011 au Cinéma du Parc.
Malgré des demandes répétées, même par courrier recommandé, l’UQAM a refusé de justifier son refus par écrit. Rejoint par téléphone, le chargé de projet pour la location de salle de l’UQAM a toutefois expliqué en détails au CRM que la demande avait été rejetée par le rectorat pour les raisons suivantes : en raison de la rentrée scolaire, le Service de la prévention et de la sécurité de l’UQAM recommande de ne pas tenir cet événement, « vu le volume d’activités sur le campus, et les risques de débordement »; « Le 11-Septembre est un événement symbolique auquel l’UQAM ne veut pas être associée. L’université ne veut pas non plus donner l’impression qu’elle cautionne une conférence à ce sujet, d’un point de vue ou de l’autre »; et l’UQAM n’aime pas le profil d’un des conférenciers.
De toute évidence, les raisons de prévention et de sécurité n’étaient pas en cause et ont été invoquées uniquement pour donner une certaine légitimité aux véritables raisons du refus : l’UQAM ne veut pas que l’on parle du 11-Septembre dans une perspective critique et nuancée dans son enceinte et refuse de laisser certaines personnes s’y exprimer. D’emblée cette décision exclut également un débat sur les enjeux géo-politiques sous-jacents.
Les motifs évoqués par le recteur de l’UQAM constituent une violation de la liberté d’expression protégée par la Charte canadienne des droits et libertés. En agissant de la sorte, l’UQAM a bâillonné la liberté d’expression, se trouvant ainsi en totale contradiction avec ses normes internes concernant la liberté académique.
Dans le cadre de sa convention collective, l’UQAM s’engage à promouvoir la liberté d’expression, mais elle refuse le droit de parole à un ancien membre du Congrès des États-Unis, candidate aux présidentielles, ainsi qu’à un journaliste de renom, spécialiste de la sécurité, invité par les réseaux de télévision Fox, ABC, CBS, NBC, BBC (entre autres) et dont les chroniques sont publiées (entre autres) par le
Miami Herald, le
Houston Chronicle et l’
Atlanta Journal-Constitution.
L’énoncé de principes de l’ACPPU sur la liberté académique stipule : « Le droit à la liberté académique appartient aux membres du personnel académique et non pas à l’établissement d’enseignement. L’employeur ne peut restreindre la liberté académique pour quelque motif que ce soit, y compris toute prétention à l’autonomie de l’établissement. »
Par ailleurs, en refusant la tenue de cette conférence, le recteur a agit en dehors des normes de la collégialité. C’est la communauté universitaire qui devrait déterminer les normes régissant la liberté d’expression et non pas les bureaucrates agissant au nom de la communauté universitaire. Les entités représentatives du corps professoral, des étudiants et du personnel de soutien ne devraient-ils pas être consultées à propos des normes régissant la liberté d’expression sur le campus?
La décision de l’UQAM constitue en outre une infraction de l’article 3 de la Charte des droits et libertés qui garantit « la liberté de conscience, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association. »
En septembre 2010, la tenue d’une conférence à l’UQAM portant précisément sur le 11-Septembre avait soulevé un tollé. À l’époque, Julien Toureille, directeur adjoint et chercheur en résidence de l’Observatoire sur les États-Unis à la Chaire Raoul-Dandurand, avait clairement exprimé son désaccord quant à la tenue de cette conférence dans les murs de l’UQAM, en qualifiant les conférenciers de « menteurs », d’« escrocs » et d’« imposteurs ».
L’UQAM avait décidé par la suite de réviser sa politique de location de salle afin de « mieux refléter la mission universitaire ». Cette mission consiste-t-elle dorénavant à réprimer certains points de vue qui déplaisent à certains professeurs, « partenaires » et/ou « collaborateurs institutionnels » de l’institution, comme ceux de la Chaire Raoul-Dandurand, soit le ministère de la Défense nationale du Canada, Power Corporation et le Consulat général des États-Unis à Montréal?
Chose certaine, cet incident représente un dangereux précédent pour la liberté d’expression à
l’UQAM, voire au Québec. À titre de comparaison, l’Université Ryerson de Toronto a tenu quatre jours d’audience sur le 11-Septembre du 8 au 11 septembre 2011 et où les conférenciers boudés par l’UQAM ont pu s’exprimer librement.
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Michel Chossudovsky est directeur du Centre de recherche sur la mondialisation à Montréal et professeur émérite de science économique à l’Université d’Ottawa.
Julie Lévesque est journaliste et chercheure au Centre de recherche sur la mondialisation.
Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de l’ACPPU.
Tribune Libre
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