Environ la moitié des régimes de retraite offerts au personnel des établissements d’enseignement postsecondaire au Canada entre dans la catégorie des régimes de retraite à prestations déterminées. Le revenu de retraite y est calculé en fonction du salaire et des années de service. Chaque employé verse une cotisation fixe et l’employeur, le montant nécessaire pour atteindre le revenu de retraite préétabli auquel l’employé a droit. Le tiers des autres régimes de retraite sont des régimes à cotisations déterminées. Dans ces régimes, employé et employeur versent des cotisations fixes, qui sont placées au nom de l’employé. Le revenu de retraite dépend du rendement des placements effectués. Enfin, d’autres régimes de retraite sont des versions mixtes des deux catégories précédentes.
Il est de plus en plus courant d’entendre nos employeurs invoquer les graves difficultés — que dire, la crise! — auxquelles font face nos régimes de retraite, aux prises avec de lourds déficits de capitalisation. À leurs yeux, les régimes de retraite sont des obligations écrasantes, particulièrement ceux à prestations déterminées ou ceux qui en ont certaines caractéristiques. Fidèles à leur logique, nos employeurs soutiennent souvent que le rétablissement de l’équilibre financier des régimes est le poste de dépenses qui croît le plus rapidement sur les campus. Un poste sur lequel, il va sans dire, ils souhaitent avoir la haute main de toute urgence.
Les employeurs déclarent que tous doivent avoir à coeur l’intérêt supérieur et la pérennité de nos régimes de retraite. En clair : les participants doivent assumer une plus grande part du fardeau de la retraite. Pour y parvenir, plusieurs formules sont possibles. On peut augmenter la cotisation des participants. Ou les employeurs peuvent remplacer le régime à prestations déterminées par un régime à cotisations déterminées, une solution qui aurait l’avantage de réduire leurs engagements et d’atténuer l’incertitude quant aux coûts du régime. Mais pour les participants, ce serait la fin des prestations de retraite garanties.
Bon nombre de nos régimes de retraite semblent effectivement sous-capitalisés, mais il importe que les associations de personnel académique se rendent compte par elles-mêmes de la situation. Nos employeurs brandissent des analyses actuarielles pour démontrer l’« état de crise » dans lequel se trouveraient, de leur point de vue, les régimes de retraite. Cependant, il faut évaluer soigneusement la pertinence des hypothèses à la base de leurs évaluations et bien comprendre les facteurs qui contribuent au manque de capitalisation. Il n’est pas question de nier que les régimes de retraite sont déficitaires, mais ne crions pas à la crise trop vite.
De nombreux facteurs peuvent entraîner les régimes en territoire négatif. Certains sont de notre ressort, d’autres pas. Le facteur le plus évident est sans conteste la performance des marchés boursiers. Les marchés boursiers sont malmenés depuis plusieurs années et les investisseurs doivent pouvoir compter sur des rendements plus élevés pour regagner le terrain perdu. Néanmoins, la gestion des placements est du ressort des régimes de retraite. En conséquence, les groupes d’employés doivent insister pour obtenir une meilleure assurance que la prudence dicte le choix des stratégies de placement appliquées.
Un facteur a toutefois pesé lourd dans l’actuel déséquilibre financier des régimes de retraite : les suspensions de cotisations. Les régimes de retraite n’ont pas toujours été déficitaires. Il leur est même arrivé dans le passé d’avoir trop d’argent en caisse par rapport à leurs besoins. À ces moments, de nombreux établissements d’enseignement ont décidé de suspendre temporairement leurs cotisations. Ils ont puisé dans les excédents pour verser les cotisations obligatoires tant que ceux-ci n’ont pas été ramenés à un niveau plus approprié. Entretemps, ils ont pu affecter à d’autres priorités les fonds qu’ils auraient dû verser dans le régime.
À l’Université Wilfrid-Laurier, par exemple, l’employeur a suspendu complètement ses cotisations de 1994 à 2002. Les employés n’ont bénéficié que d’une diminution de leurs cotisations en 2000 et 2001. Ces actions ont fait basculer le régime de retraite dans le rouge. En 2010, son déficit atteignait 64,2 millions de dollars, dont 59,3 millions de dollars étaient attribuables à l’employeur.
Par conséquent, s’il est vrai que de nombreux facteurs peuvent être à l’origine des déficits des régimes de retraite, les suspensions de cotisations passées, principalement celles de nos employeurs, ont grandement contribué à l’actuelle sous-capitalisation des régimes. Ces mêmes employeurs veulent maintenant augmenter nos cotisations, question de nous refiler la note de leurs décisions antérieures. Il y a là une leçon à tirer : les groupes d’employés doivent réclamer un droit de regard accru sur l’utilisation des excédents. Par exemple, au lieu de décréter des suspensions de cotisations, pourquoi ne pas hausser les prestations de retraite grâce aux fonds supplémentaires?
Il est important de se rappeler que les actifs d’un régime de retraite — les cotisations versées par les employeurs et les employés — appartiennent aux employés. Il s’agit d’une rémunération différée, ni plus ni moins, qui fait partie de la rémunération globale négociée en contrepartie de notre travail, c’est-à-dire le cumul du salaire, des avantages sociaux, du régime de retraite ainsi que d’autres programmes et services. Nous troquons un salaire plus élevé contre un revenu de retraite, et nous devrions résister aux tentatives de nos employeurs pour nous retirer cet avantage.
Sur la plupart des campus, les employeurs affirment depuis longtemps que les régimes de retraite font partie des droits de la direction et sont exclus en quelque sorte du domaine de la négociation collective. Ils sont conscients du fait que dans le processus de négociation, ils ne déterminent pas l’issue des pourparlers. Toute hausse de nos cotisations devrait s’accompagner en échange d’une plus grande participation aux décisions de gestion du régime. Nous n’atteindrons cet objectif, tout en faisant valoir les intérêts de nos membres, qu’en négociant collectivement un modèle de rémunération qui comprend les prestations de retraite.
En définitive, la vision des régimes de retraite qu’ont les associations du personnel académique est à des années-lumière de celle des employeurs. Ce fossé occasionne des coûts supplémentaires, alors même que les employeurs veulent se décharger sur les employés de la responsabilité de remettre les régimes de retraite sur les rails. La négociation collective procure au moins l’assurance que cette solution à une crise apparente, dans laquelle nous n’avons d’ailleurs joué aucun rôle, ne sera pas mise en place unilatéralement.