Le Canada a adopté la Loi antiterroriste il y a maintenant dix ans. Ce jour-là, et dans les années qui ont suivi, le gouvernement canadien, sous le couvert de la sécurité nationale, a apporté des modifications sans précédent aux lois et aux règlements de notre pays qui ont eu pour effet de fragiliser terriblement nos libertés civiles, particulièrement les libertés fondamentales d’expression, d’information, d’association et d’assemblée ainsi que le droit à la vie privée.
Au départ, la Loi a été présentée comme un outil nécessaire pour protéger la sécurité et les droits fondamentaux de chaque Canadien contre la menace du terrorisme. En réalité, sous son régime, la définition courante du terrorisme a cédé la place à une notion floue et élargie, applicable à une foule d’activités politiques légitimes susceptibles de tomber sous le coup de la Loi.
En outre, les services policiers et autres services de sécurité se sont vus accorder des pouvoirs extraordinaires d’enquête et de surveillance. Dans un contexte de relâchement de la veille démocratique, le Canada est ainsi devenu un terreau fertile pour la violation des libertés civiles. Cette évolution semble malheureusement avoir été la conséquence d’un changement de paradigme et d’un nouveau discours concernant le terrorisme et les besoins en matière de sécurité. Au final, la dissidence et la désobéissance civile légitimes sont maintenant classées comme des actes de terrorisme national et constituent des infractions criminelles.
La liberté académique dont jouissent les milieux universitaire et collégial repose sur un solide engagement social à l’endroit des libertés civiques. Elle s’appuie sur des libertés plus générales, la liberté d’expression et la liberté de pensée, et sur la libre circulation de l’information. La liberté académique ne peut survivre à la disparition de ces droits fondamentaux.
Par conséquent, l’ACPPU et le milieu académique se sont portés avec vigueur à la défense des libertés civiles et des droits de la personne, tant au Canada qu’ailleurs dans le monde. Et plus encore, les universitaires ont été les premiers à définir et à éclairer le débat sur la valeur de nos droits dans la société. La plus grande partie des activités de l’ACPPU dans ce secteur se fait par l’intermédiaire de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles.
Il n’est donc pas surprenant que l’ACPPU ait condamné dernièrement le projet de loi 78 — la loi d’urgence adoptée au Québec par le gouvernement Charest pour affaiblir le mouvement de grève déclenché par les étudiants en opposition à la hausse projetée de 75 % des droits de scolarité. Ce projet de loi a été vivement contesté par diverses organisations, dont les partis d’opposition à l’Assemblée nationale du Québec, le Barreau du Québec, Amnistie Internationale et d’autres groupes de défense des libertés civiles, des droits des travailleurs et de la justice sociale partout au pays, les organisations étudiantes québécoises et la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants.
Dans une déclaration publique, le directeur général de l’ACPPU, James Turk, a qualifié la loi d’« abominable acte de répression de masse », ajoutant que le « gouvernement du Québec a choisi de se servir de la puissance du droit comme d’un instrument pour bâillonner la dissidence ». Le projet de loi 78 marque un retour en arrière, en s’attaquant dans une optique punitive à nos droits démocratiques les plus fondamentaux — les libertés d’expression, d’association et d’assemblée — qu’il faut défendre à tout prix. Comment rester les bras croisés alors que le tissu de notre société démocratique s’effrite sous nos yeux?
L’ACPPU a pris position dans ce débat en mars dernier, alors que les étudiants étaient en grève depuis à peine plus d’un mois. Dans la droite ligne de notre politique sur les droits de scolarité et l’accès à l’éducation postsecondaire, nous avons déclaré publiquement notre appui à la lutte des étudiants québécois. Nous reconnaissions alors que le secteur de l’éducation postsecondaire du Québec — comme ceux d’autres provinces canadiennes — souffrait assurément d’un manque de financement, mais que la résolution efficace de ce problème ne passait pas par une augmentation du fardeau financier des étudiants et de leurs familles.
À l’assemblée du Conseil en avril, une majorité écrasante de délégués ont appuyé une résolution visant à ce que l’ACPPU réitère son soutien aux étudiants du Québec dans leur démarche pour préserver l’accès à l’éducation postsecondaire. Peu après, l’ACPPU a signé avec la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants et sept autres associations nationales une lettre ouverte demandant au premier ministre Jean Charest de « résoudre promptement la grève étudiante en infirmant la décision de hausser les droits de scolarité au Québec ».
Par suite de l’adoption du projet de loi 78 le 18 mai dernier, la situation au Québec a pris une tout autre dimension. Les manifestants qui, jusque-là, combattaient uniquement la hausse des droits de scolarité ont rapidement enfourché un nouveau cheval de bataille, la défense des droits démocratiques fondamentaux et des libertés civiles, voyant que le gouvernement Charest prenait les grands moyens pour étouffer l’opposition étudiante.
À première vue, la loi spéciale a pour objet d’assurer la continuité des services d’enseignement dans les établissements de niveau postsecondaire au Québec. Cependant, elle renferme aussi un certain nombre de dispositions draconiennes, dont des mesures visant à préserver la paix, l’ordre et la sécurité publique en encadrant les manifestations de protestation et les rassemblements; des mesures de nature administrative et civile qui minent le mouvement d’opposition, qui attribuent une responsabilité civile à tout partisan qui cause un préjudice à un tiers, et qui imposent de lourdes amendes à toute personne, organisation ou institution qui se dresse contre la volonté présumée du législateur.
La position de l’ACPPU dans ce dossier reflète les pratiques et les antécédents de l’Association au chapitre de la défense des libertés civiles et des droits de la personne. L’ACPPU a demandé au gouvernement québécois d’abroger la loi 78, et ce faisant, d’éliminer toutes les amendes imposées et d’annuler toutes les arrestations faites sous son régime.
De plus, l’ACPPU a versé 20 000 $ aux organisations étudiantes pour les aider à couvrir les frais de justice occasionnés par la défense des étudiants arrêtés alors qu’ils prenaient part à une manifestation pacifique. L’Association a également offert son soutien à la contestation judiciaire de la loi 78. Elle a invité toutes ses associations membres dans l’ensemble du pays à dénoncer publiquement les actions du gouvernement québécois et à appuyer les étudiants.
Nous sommes une association pancanadienne d’universitaires vouée à la défense du principe de la liberté académique et des libertés démocratiques fondamentales telles les libertés d’expression, d’association et d’assemblée, qui sont garanties par la Charte canadienne des droits et libertés. Dans la situation qui prévaut au Québec, nous ne pouvions réagir autrement devant le caractère répressif de la loi 78.
En définitive, nous devons toujours nous ranger aux côtés de nos étudiants et de nos collègues, et d’autres organisations au pays, pour faire obstacle à toute tentative d’un gouvernement de criminaliser des actes légitimes de dissidence ou de protestation pacifique. Cette obligation va de pair avec notre rôle d’intellectuels publics et de défenseurs des libertés civiles.