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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

septembre 2012

Des temps difficiles pour les travailleurs

Par Wayne Peters
Le mouvement syndical canadien essuie une volée d’attaques sans précédent. Il fait les frais des politiques économiques de gouvernements néolibéraux de droite qui favorisent les entreprises et le secteur privé au détriment des travailleurs canadiens. Il est également victime des modifications législatives qui sapent les droits individuels à l’association et à la négociation collective garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, et qui constituent autant d’entraves à la représentation syndicale. Au lendemain de la fête du Travail, la gravité de la situation appelle toute notre attention.

Le récent budget d’austérité du premier ministre Stephen Harper a entraîné l’abolition, dans la fonction publique, de nombreux emplois syndiqués bien rémunérés et une augmentation des emplois mal rémunérés et assortis, au mieux, d’une sécurité minimale. La vague d’austérité qui déferle sur le Canada détruit également le filet de sécurité sociale du pays. À preuve l’affaiblissement du programme d’assurance-emploi, le report de l’âge normal de la retraite et l’élimination de programmes et de services communautaires cruciaux. Malheureusement, on a pu consta­ter, sans surprise toutefois, que les gouvernements provinciaux ont souscrit au même credo.

Le gouvernement Harper a aussi fait preuve d’intransigeance au chapitre des relations du travail dans le secteur public, ou du moins dans les secteurs d’activité réputés toucher le public de près. Comme nous l’avons vu, Ottawa est intervenu sans ménagement dans le processus de négociation collective à CP Rail, Air Canada et Postes Canada, pour faire rentrer dans le rang les grévistes réels ou potentiels.

Le projet de loi C-377, actuellement à l’étude à la Chambre des communes, est particulièrement préoccupant, car il exige des syndicats qu’ils dévoilent leurs finances sur la place publique. Le projet de loi propose des modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu qui, si elles étaient adoptées, exigeraient que chaque organisation ouvrière au Canada remette à l’Agence du revenu du Canada des états détaillés de toutes ses opérations financières d’une valeur supérieure à 5 000 $. Ces états devraient ventiler les dépenses engagées pour des activités liées à l’organisation d’événements, aux négociations collectives ainsi qu’à l’information et à la formation, et pour des activités politiques. En vertu des dispositions du projet de loi, il serait possible de consulter en ligne un rapport circonstancié sur les activités d’un syndicat.

Les exigences d’information contenues dans le projet de loi C-377 grèveraient les ressources administratives des syndicats, mais représenteraient aussi une ingérence incroyable du public dans leurs ac­tivités quotidiennes. En obligeant les syndicats à rendre publics leurs états financiers — ce qui constitue une obligation d’information supérieure à celle à laquelle est assu­jettie toute autre organisation ou entreprise —, on porte atteinte au caractère privé de la relation qui unit les syndicats et leurs employés ainsi que les autres personnes, entreprises et associations avec lesquelles ils font affaire.

Par exemple, des renseignements touchant le personnel des syndicats, comme les salaires, les dépenses et les prestations relatives à divers régimes d’avantages sociaux, dont les pensions, seraient divulgués, au même titre que les dépenses engagées pour des activités juridiques, ce qui pourrait mener à une rupture du secret professionnel liant l’avocat à son client.

Les syndicats sont des organisations démocratiques tenues de ren­dre des comptes à leurs membres et non au grand public. Ils font preuve de transparence en rendant leur information financière accessible à leurs membres, que ce soit dans les états financiers vérifiés ou lors des assemblées ordinaires, et ils produisent une foule de rapports à la demande de l’Agence du reve­nu du Canada et des organismes de réglementation provinciaux.

Le projet de loi C-377 a été déposé sous le titre « Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu », mais son contenu n’a rien à voir avec la fiscalité. Il s’agit simplement d’une tactique employée par le Parlement pour s’ingérer dans la définition de la législation du travail de ce pays en réglementant des activités qui sont principalement du ressort des provinces.

En exigeant des syndicats qu’ils étalent leurs opérations au grand jour — ce qui revient à donner injustement une importante longueur d’avance aux employeurs, le texte législatif en question a pour seul objectif de leur mettre des bâtons dans les roues pour qu’ils ne puissent re­présenter pleinement et équitablement leurs membres.

De nombreux enjeux à l’échelle provinciale requièrent également toute notre vigilance. Diverses initiatives, notamment sur le plan législatif, sont mises en oeuvre dans le but d’affaiblir le droit du travail, de miner les processus de négoci­ation collective, de geler les salaires et de donner la priorité aux intérêts des employeurs plutôt qu’à ceux des travailleurs.

Par exemple, en Saskatchewan, le projet de loi 5 inclut une définition beaucoup plus large des services essentiels, ce qui a pour effet de retirer le droit de grève à un plus grand éventail de travailleurs, tandis que le projet de loi 6 limite la liberté d’association et le droit à la libre négociation collective des travailleurs. En Colombie-Britannique, le projet de loi 18 est antidémocratique en ce qu’il interdit aux mem­­bres du personnel académique des collèges et des universités de cumu­ler un siège au conseil d’administration de leur établissement et une action syndicale. Pour sa part, le gouvernement ontarien vient de déposer un projet de loi visant à imposer aux enseignants des conventions collectives qui comportent un gel des salaires et une diminution des avantages sociaux, ainsi qu’à interdire le recours à la grève.

En Ontario toujours, la tentative faite pour présenter un projet de loi assurant le droit au travail, d’inspiration américaine, est très préoccupante. Ne vous laissez pas ber­ner par les mots. Même si la loi a toutes les apparences d’une loi pro-travailleurs, elle vise à détruire les syndicats et à abolir le droit à la négociation collective en mettant la formule Rand au rancart.

En vertu de cette formule, tous les employés qui profitent des avantages négociés collectivement doivent verser les cotisations au syndicat qui les représente, qu’ils en soient membres ou non. En langage clair, qui est avantagé, cotise. Les lois assurant le droit au travail dispensent les employés non syndiqués de verser des cotisations syndicales.

D’autres régimes collectifs re­posent sur l’obligation qu’a tout un chacun d’y cotiser. Si le même raisonnement leur était appliqué, les services publics, tels qu’ils existent aujourd’hui, disparaîtraient. Cette conséquence s’inscrit évidemment dans le courant de pensée néolibé­ral de droite, pour qui l’État interventionniste doit s’effacer le plus possible devant les forces du capitalisme le plus pur.

En Ontario, les partisans du controversé projet de loi présentent celui-ci comme un moteur de la relance de l’économie de la province. Ils postulent que les lois du travail en vigueur sont désuètes et prônent une plus grande flexibilité du marché du travail. Malheureusement, il s’agit d’une flexibilité à sens uni­que, qui profite uniquement aux employeurs, car les travailleurs, eux, forcés d’accepter des salaires sans cesse diminués, perdent des droits. À la recherche de la prospérité générale, on préfère le nivellement par le bas.

Au Canada, le secteur de l’éducation postsecondaire affiche un taux élevé de syndicalisation du personnel académique et du personnel de soutien. Ce mouvement de syndicalisation a été un facteur déterminant de l’évolution du système canadien d’enseignement universitaire et collégial, qui est reconnu aujourd’hui comme l’un des meilleurs du monde entier. Pour éviter tout recul, nous devons être attentifs à ces assauts sur les syndicats et les associations de travailleurs en général, et ne ménager aucun effort pour défendre les gains et les droits si chèrement acquis, qui sont les fruits de la syndicalisation et de la législation du travail, et pour protéger ce bien public qu’est l’éducation postsecondaire.

Dans cette optique, nous devons nous joindre à nos confrères et à nos consoeurs de la communauté plus large des travailleurs pour défendre la vigueur du mouvement syndical au Canada. Après tout, les syndicats ont été l’un des seuls outils qui ont permis de réduire les inégalités dans la société canadienne et d’améliorer le bien-être des travailleurs d’un océan à l’autre.