L'Association des universités et des collèges du Canada a fait savoir dernièrement que les inscriptions d’étudiants internationaux dans les universités canadiennes étaient en hausse de 12 % cet automne par rapport à l’an dernier. Le Canada occupe, selon l’Association, une « position pour le moins enviable dans le milieu très concurrentiel de l’éducation internationale ». Par comparaison, au cours de la même période, les effectifs d’étudiants canadiens dans nos établissements ont augmenté de 3,4 % aux cycles supérieurs et de 2 % au premier cycle.
Dans l’édition 2012 de sa publication annuelle « Regards sur l’éducation », l’OCDE indique qu’environ quatre millions d’étudiants fréquentaient un établissement d’enseignement à l’extérieur de leur pays d’origine en 2010. Les étudiants en formation à l’étranger représentaient cette année-là le double des effectifs recensés en 2000, grâce à une croissance annuelle moyenne d’approximativement 7 %. Leur nombre avoisinerait sept millions en 2025, d’après certaines estimations.
Le Bureau canadien de l’éducation internationale — une organisation qui regroupe la plupart des universités et des collèges du Canada — signale qu’en 2011, le Canada s’est classé au sixième rang des destinations mondiales les plus populaires chez les étudiants internationaux. L’an dernier, nous avons accueilli quelque 240 000 étudiants provenant de 173 pays différents.
Si le Canada répond seulement à une faible part de la demande mondiale d’enseignement supérieur à l’étranger, la dernière décennie lui a été profitable, puisqu’il a réussi à accroître d’environ 70 % les inscriptions d’étudiants en mobilité internationale sur son territoire. Aujourd’hui, les étudiants venant de l’étranger forment à peu près 6,5 % de la population étudiante totale sur nos campus.
Comme on peut le voir, le Canada est loin d’occuper toute la place qui pourrait lui revenir sur le marché de l’éducation internationale. D’ailleurs, bon nombre de nos établissements d’enseignement se sont dotés de stratégies d’internationalisation. Dans ce contexte, le Canada renouvelle actuellement sa vision de l’éducation internationale. En août 2012, le Comité consultatif sur la stratégie internationale du Canada en matière d’éducation, créé par le gouvernement fédéral, a publié son rapport final intitulé « L’éducation internationale : un moteur-clé de la prospérité future du Canada ».
Le comité est d’avis que la prospérité engendrée par l’éducation internationale profitera au premier chef à quatre grands secteurs, à savoir l’innovation, les échanges commerciaux, le développement du capital humain et le marché du travail. Il fait peu mention des retombées de cette prospérité sur l’éducation postsecondaire même.
Mais, attendez, l’éducation n’est-elle pas une compétence provinciale? Peut-être bien, mais quand on applique une analyse coûts-avantages à la prestation de services d’éducation aux étudiants étrangers, que l’on prend en considération les dépenses que ceux-ci engagent au Canada pendant leur programme d’études, on est bien plus sur le terrain du commerce et des exportations que sur celui de l’éducation.
De là, personne ne sera surpris d’apprendre que le comité a été mandaté par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international pour se pencher sur la question de l’éducation internationale. En fait, c’est dorénavant ce ministère qui sera aux commandes de la stratégie du Canada en la matière.
La lecture d’un rapport sur l’impact économique du secteur de l’éducation internationale au Canada, produit en mai 2012 à la demande des Affaires étrangères, laisse peu de doute quant à l’intérêt du ministère dans ce dossier. Les auteurs du rapport estiment qu’en 2010, les étudiants internationaux au Canada ont dépensé près de 8 milliards de dollars en frais de scolarité, de logement et autres, ce qui représente près de 7 % de la contribution de l’ensemble du secteur de l’éducation au PIB canadien. Leur venue a également créé au-delà de 81 000 emplois et enrichi le Trésor public de plus de 445 millions de dollars.
Lorsque l’on considère l’éducation internationale comme un bien d’exportation, la valeur des exportations de ce secteur dépasse la valeur des exportations d’aluminium à l’état brut ainsi que des exportations d’hélicoptères, d’avions et d’astronefs. Les chiffres sont incontestables : les retombées économiques pour le Canada sont déjà considérables. Aussi, si l’on tient compte en plus du potentiel de croissance future de la part du Canada dans le marché de l’éducation internationale, l’intérêt des Affaires étrangères dans ce secteur est on ne peut plus clair.
Le comité consultatif fédéral a recommandé un certain nombre de mesures à prendre pour que, selon sa vision, le Canada devienne le chef de file en éducation internationale. Il préconise notamment de porter au double le nombre d’étudiants internationaux qui choisissent le Canada comme pays d’accueil et à 50 000 le nombre de Canadiens partant étudier à l’étranger. Le comité prône aussi d’investir davantage dans la promotion de l’image de marque du Canada dans un petit nombre de marchés ciblés porteurs du plus fort potentiel de croissance. Pour lui, l’image de marque du Canada repose sur « une qualité constante à un coût raisonnable », comme en témoignent les droits de scolarité et le coût de la vie abordables.
Une recommandation clé du comité touche l’harmonisation de la stratégie canadienne d’internationalisation de l’éducation avec le Plan d’action économique, les stratégies en matière de commerce international et d’innovation, la politique relative à l’immigration et la politique étrangère du gouvernement du Canada, et de surcroît, son intégration dans ces éléments.
Cette recommandation pourrait laisser croire, par exemple, que l’un des enjeux des négociations commerciales futures serait le libre accès des exportations de services d’éducation canadiens aux marchés internationaux, et que l’amélioration des services d’immigration et la révision des politiques faciliteraient grandement la mobilité des étudiants.
Il est triste de constater qu’à aucun stade de sa réflexion, le comité n’a l’air de concevoir que l’éducation postsecondaire fait partie des droits de la personne et est un bien public.
Dans son énoncé de principes sur les étudiants étrangers, l’ACPPU soutient que le recrutement d’étudiants étrangers devrait être motivé par le besoin d’encourager l’échange et l’avancement du savoir à l’échelle internationale, de promouvoir la diversité culturelle et la compréhension entre les cultures, d’enrichir l’expérience éducative des étudiants ainsi que des membres du personnel académique et de faciliter la coopération et le développement internationaux.
L’attraction d’étudiants étrangers ne devrait pas être motivée par le profit financier. Tous les étudiants répondant aux critères établis devraient être admis et bénéficier de services de soutien. Le gouvernement fédéral ne semble être guidé par aucun de ces principes dans sa démarche.
La présence d’un nombre élevé d’étudiants internationaux dans les universités et les collèges permet à ces établissements de mettre du beurre dans les épinards. L’ouverture au monde qui caractérise alors les activités d’enseignement, de recherche, d’érudition ainsi que les activités de service concourt à l’intérêt général. Cependant, quels sont les effets négatifs sur le milieu académique des initiatives du gouvernement visant à attirer des étudiants internationaux dans le seul but de stimuler la prospérité future du pays? Cela soulève de nombreuses questions qui méritent notre attention.
Quelle est la nature des lignes directrices et des cadres envisagés pour l’assurance de la qualité? Qu’adviendra-t-il des normes académiques quand l’économique primera sur la qualité académique? Quelles sont les conséquences sur le travail du corps professoral? Quelles ressources les campus mettront-ils à la disposition d’une population étudiante internationaleplus diversifiée? Cela modifiera-t-il l’accès des étudiants canadiens aux programmes d’études? Comment cela accroîtra-t-il la diversité au sein des membres du personnel, notamment du personnel académique? Est-ce que cela tient suffisamment compte de la diversité du tissu social canadien, et dont nos campus sont déjà le reflet? Et enfin, dans quelle mesure le milieu académique a-t-il voix au chapitre?
Il est tout à fait valable de vouloir attirer des étudiants internationaux, mais il faut veiller à ce que les efforts en ce sens soient motivés par les bonnes raisons.