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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

janvier 2013

Des criminologues recourent aux tribunaux pour protéger la confidentialité de leurs données

Chris Bruckert (à g.) et Colette Parent demandent à la Cour supérieure du Québec de confirmer le privilège de confidentialité.
Chris Bruckert (à g.) et Colette Parent demandent à la Cour supérieure du Québec de confirmer le privilège de confidentialité.
Deux criminologues de l’Université d’Ottawa se tournent vers les tribunaux pour protéger la confidentialité des renseignements recueillis lors d’une recherche menée en 2007.

Colette Parent et Chris Bruckert demandent à la Cour supérieure du Québec de confirmer le privilège de confidentialité qui est au coeur même de leur pratique en criminologie. À l’origine de leur requête se trouve la volonté des services policiers d’avoir accès à l’enregistrement et à la transcription d’une entrevue que les deux professeures ont faite il y a cinq ans avec un travailleur du sexe montréalais, aujourd’hui accusé de meurtre.

C’est l’ACPPU qui finance l’instance, car l’Université d’Ottawa a refusé d’apporter son aide. Dans une lettre en date du 19 décembre 2012, le recteur de l’Université, Allan Rock, a déclaré à James Turk, directeur général de l’ACPPU, que l’Université d’Ottawa était certes responsable de protéger l’information qui lui était confiée, mais que cette responsabilité n’englo­bait pas le paiement de frais judiciaires si des chercheurs contestaient la saisie de dossiers de recherche dans le cadre d’une procédure au criminel.

Le Comité d’éthique de la recherche de l’Université d’Ottawa avait approuvé les travaux des criminologues à la condition que les chercheuses s’engagent auprès des participants à protéger leurs informations.

« Il est indispensable de garantir la confidentialité pour arriver à une compréhension de nombreux comportements humains », dit M. Turk. « Sans ces recherches, il est impossible de mettre en place des politiques soci­ales adéquates et de faire reculer les frontières de la connaissance humaine. »

Il fait un parallèle avec les journa­listes d’enquête qui, pour faire des reportages sur des questions cruciales d’intérêt public, doivent parfois être en mesure de s’engager auprès de leurs informateurs à préserver leur anonymat.

« Contrairement à l’Université d’Ottawa qui a refusé de défendre les professeures Bruckert et Parent, les entreprises de presse se rangent du côté de leurs employés et n’hésitent pas à aller jusqu’à la Cour suprême s’il le faut », affirme M. Turk.

Au Canada, toute recherche auprès d’humains qui est financée par l’État doit être approuvée par des comités d’éthique de la recherche dûment constitués et être conforme à l’Énoncé de politique des trois Conseils : Éthique de la recherche avec des êtres humains établi par le gouvernement fédéral. On peut y lire ceci : « Il est essentiel de s’acquitter de ce devoir éthique de confiden­tialité pour maintenir tant le lien de confiance entre le chercheur et le participant que l’intégrité du projet de recherche. »

Cette politique précise également que « (r)ecueillir des renseignements en contrepartie d’une promesse de confidentialité confère aux chercheurs un devoir éthique qui est essentiel au maintien du respect des participants et à la préservation de l’intégrité du projet de recherche. Tout manquement à la confidenti­alité peut nuire au participant, à la relation de confiance entre le chercheur et le participant, à d’autres personnes ou à d’autres groupes, ou encore à la réputation du milieu de la recherche. La recherche portant sur des sujets de nature délicate (des activités illégales, par exemple) exige habituellement de solides promesses en matière de confidentialité pour qu’un rapport de confiance soit établi avec les participants. »

Les deux criminologues sont représentées par l’éminent avocat de Toronto, Peter Jacobsen, et par l’avocate montréalaise spécialisée en droit criminel, Nadine Touma. La Cour devrait se pencher sur la question en juin.