Rien à faire. La controverse entourant depuis quelques années un établissement d’enseignement privé ayant conclu un partenariat avec l’Université du Manitoba à Winnipeg pour accueillir des étudiants internationaux et être leur « porte d’entrée » à cette université, ne s’éteint pas.
Depuis plus de quatre ans maintenant, le Collège international du Manitoba (ICM) offre des cours d’anglais langue seconde et des cours préparatoires à des études universitaires sur le campus principal même de l’université, se présentant comme « votre porte d’entrée à l’Université du Manitoba » dans son site web où abondent photos et mentions de l’université.
En contrepartie de droits de scolarité considérables, l’ICM donne un enseignement à des étudiants étrangers qui ne répondent pas aux critères d’admission au premier cycle de l’université. Les étudiants peuvent être admis directement en deuxième année à l’université s’ils montrent des progrès dans l’acquisition des connaissances et la maîtrise de la langue.
Lorsque le contrat conclu entre l’université et Navitas, la société mère australienne de l’ICM et une entreprise internationale à but lucratif de « services d’éducation », a été rendu public en 2008, la surprise a été totale chez les professeurs et les étudiants, qui n’ont pu que s’incliner devant le fait accompli.
La négociation, dans le plus grand secret, de l’entente — d’une durée de cinq ans, disait-on — a suscité un vif débat au sein du sénat, une fois ses membres informés par un avis diffusé sur le site web de Navitas. Car ni le sénat, ni le conseil d’administration et ni l’association du personnel académique n’avaient été mis au courant du projet.
Un autre choc attendait le personnel académique à la réunion du sénat en novembre dernier. Le contrat conclu avec Navitas pour une période censée être de cinq ans était en fait un contrat de dix ans et expirait en 2018.
« Ce fut une très mauvaise surprise », dit Cameron Morrill, président sortant de l’University of Manitoba Faculty Association (UMFA).
« Nous nous attendions à ce que le contrat de cinq ans soit réexaminé avant son expiration, en 2013. Maintenant, on nous dit que ce réexamen aura vraiment lieu, mais sans préciser sa date ni sa portée. De toute façon, le contrat est en vigueur jusqu’en 2018. »
Dernièrement, les médias ont fait écho aux plaintes des étudiants au sujet des tactiques de recrutement de l’ICM, de sa politique de remboursement et de ses présumés engagements relativement à l’obtention de la citoyenneté canadienne et à l’offre d’emplois au Canada. Il n’en fallait pas plus pour relancer la réflexion sur la pertinence de la présence de l’ICM sur le campus de l’université.
Le manque de transparence qui a marqué la venue de l’ICM à l’université continue d’interpeller le personnel académique, et des membres du sénat ont demandé pourquoi ils n’exercent aucune surveillance sur les activités de l’établissement.
En 2008, interrogés pour la première fois au sujet de l’entente, les administrateurs de l’université ont refusé d’en dévoiler les modalités. Les membres du sénat ont alors déposé une demande d’accès à l’information pour obtenir une copie du contrat liant l’université et Navitas.
Leur demande ayant été rejetée, ils ont fait appel auprès de l’ombudsman du Manitoba. On leur a alors remis une version retouchée, dans laquelle les informations financières avaient été caviardées.
Les procès-verbaux du sénat indiquent que le document a ensuite été mis à la disposition des personnes intéressées à le consulter dans le bureau du secrétaire de l’université.
La chaîne de télévision CBC News a également fait savoir qu’elle avait obtenu une copie du contrat au moyen, elle aussi, d’une demande d’accès à l’information. Les informations financières y avaient aussi été caviardées.
M. Morrill affirme que le secret entourant les dispositions financières du contrat demeure un sujet d’inquiétude pour le personnel académique parce que si le secteur privé a l’habitude de garder certaines informations confidentielles, le secteur public, lui, doit faire preuve de transparence, et l’université est une institution publique.
« L’ICM utilise des locaux financés par l’État. Mais, par manque d’informations, on ne peut prouver aux Manitobains que les ressources publiques sont utilisées judicieusement », déclare M. Morrill, qui est professeur de comptabilité financière à l’École de commerce Asper de l’Université du Manitoba.
Il ajoute que l’UMFA est principalement préoccupée par le recrutement à l’extérieur des professeurs de l’ICM, une forme de sous-traitance de l’enseignement selon elle, et par le fait que le collège est un établissement d’enseignement à but lucratif.
« Ils font plus d’argent si leurs étudiants réussissent. Nous croyons que cela exerce une pression sur les enseignants pour tout mettre en oeuvre pour que leurs étudiants réussissent », dit-il.
Les étudiants ressentent cette obligation de réussite, et certains ont soutenu que l’ICM les avait recrutés même si leurs notes et leurs compétences linguistiques leur auraient valu d’être admis directement à l’université.
CBC News a rencontré plusieurs étudiants qui accablent les recruteurs de l’ICM à l’étranger. Ceux-ci les ont convaincus de payer des droits de scolarité exorbitants au collège, et leur auraient même dit que le collège faisait partie de l’université.
L’ICM demeure une entité juridique distincte de l’Université du Manitoba, mais cela n’est pas évident lorsque l’on consulte son site web. En effet, sur la page d’accueil, on peut voir défiler des images pittoresques de l’Université du Manitoba et les visiteurs sont invités à cliquer pour avoir un aperçu de la vie étudiante sur son campus.
Sur une autre page, aux côtés de sa photo, le recteur et vice-chancelier de l’université, David Barnard, souhaite la bienvenue aux étudiants du Collège international du Manitoba (ICM) à la plus ancienne université de l’Ouest canadien.
David Collins, vice-recteur principal de la planification et des programmes académiques à l’Université du Manitoba, a réagi publiquement aux plaintes des étudiants, se disant préoccupé et surpris par certaines de leurs allégations.
Il a toutefois souligné que c’est l’ICM, et non l’université, qui est responsable du comportement de ses recruteurs. L’université refuse de révéler la somme que lui rapporte chaque étudiant recruté par l’ICM.
Ni M. Collins ni Susan Deane, directrice et rectrice du Collège, ne nous ont rappelés pour nous donner leurs commentaires.