Le milieu académique a été abasourdi d’apprendre qu’Edwin Mellen Press, l’éditeur universitaire ayant des bureaux en Angleterre et à New York, avait intenté une action en justice de 3,5 millions de dollars contre un bibliothécaire et son employeur, une université canadienne.
Dale Askey, bibliothécaire agrégé à l’Université McMaster depuis 2011, et l’Université sont tous deux poursuivis pour des commentaires que le premier a affichés sur son blogue personnel en août 2010, alors qu’il travaillait pour l’Université Kansas State.
Dans la demande en justice déposée devant la Cour supérieure de l’Ontario en juin dernier, l’éditeur accuse M. Askey de l’avoir diffamé dans un billet intitulé The Curious Case of Edwin Mellen Press et dans des déclarations d’autres personnes (une longue suite de commentaires affichés par les lecteurs du blogue). L’éditeur nomme l’Université McMaster défendeur responsable du fait d’autrui pour les mêmes motifs, parce que le billet est demeuré en ligne jusqu’en mars 2012.
Par ailleurs, M. Askey est également nommé défendeur unique dans une deuxième action en justice de 1 million de dollars intentée par le fondateur de la maison d’édition, Herbert Richardson.
Son billet est reproduit en entier dans les documents de procédure. Il traitait, tout comme les commentaires qui le suivaient, de divers aspects des publications de Mellen, dont le coût des livres, la qualité de la reliure et la profondeur de la révision.
« À l’époque de ce billet, j’étais chargé d’évaluer des publications en vue de leur acquisition possible par la bibliothèque. C’était mon travail de juger de la qualité des livres », a déclaré le bibliothécaire.
« Vu les budgets de plus en plus limités, il devient d’autant plus important de faire preuve de discernement. Pourtant, d’année en année, il y a de moins en moins de bibliothécaires professionnels. Étant moi-même un bibliothécaire compétent et expérimenté, je faisais part à mes pairs d’une opinion professionnelle sur un sujet d’intérêt commun. »
Pour sa part, l’Université McMaster a affirmé dernièrement « le droit du milieu académique de se pencher sur une opinion sans restriction » et a déclaré qu’elle se défendrait, mais ne s’est pas engagée à défendre M. Askey.
Le directeur général de l’ACPPU, James Turk, juge « extrêmement décevante » l’attitude de l’Université à l’égard de son employé.
« L’Université McMaster a l’obligation de défendre son bibliothécaire », a-t-il avancé. « Pour que sa déclaration de principe ait vraiment un sens, elle doit réagir et assumer les frais judiciaires de M. Askey. »
M. Turk fait remarquer qu’une telle poursuite peut avoir pour effet de museler un critique et de décourager d’autres personnes d’échanger des avis professionnels conformément au droit à la liberté académique.
Aucune date n’a encore été fixée pour les audiences, et aucun des deux défendeurs n’a encore présenté sa défense.
Cela n’est pas la première fois que Mellen s’en prend à ses détracteurs. En 1993, l’éditeur a poursuivi la revue Lingua Franca, mais n’a pas eu gain de cause. Étrangement, il a publié en 2006 un livre intitulé The Edwin Mellen Press vs. Lingua Franca: A Case Study in the Law of Libel, dans lequel il expose en détail les accusations portées contre lui. La ressemblance entre ces accusations et les reproches formulés par M. Askey est étonnante.
L’affaire s’est ébruitée rapidement. Plusieurs blogueurs respectés du milieu académique ont condamné publiquement Mellen Press, reprenant les affirmations originales de M. Askey et demandant à l’Université McMaster d’assumer les frais de la défense du bibliothécaire.
Une pétition pour réclamer l’abandon des actions en justice est affichée sur le site
Change.org, et compte déjà plus de trois mille signatures.