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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

mars 2013

Il y a lieu de remettre en question les priorités fédérales en matière de financement

Par Wayne Peters
La direction du Programme des chaires d’excellence en recherche du Canada finan­cera la création de onze nouvelles chaires dans huit universités canadiennes, une initiative évaluée à environ 55 millions de dollars sur cinq ans. Cette initiative, annoncée en novembre 2012, fait suite à un premier concours tenu en 2010, au terme duquel 18 chaires avaient été établies dans 13 universités à un coût approximatif de 190 millions de dollars sur sept ans. Une troisième phase sera lancée en 2015.

Aujourd’hui, ce sont près de 250 millions de dollars que recevront 29 chercheurs rattachés à seulement 21 établissements au pays. On peut donc dire qu’une part importante des fonds disponibles sont entre les mains d’un minuscule groupe de chercheurs, dont les travaux doivent en plus porter sur l’un des quatre domaines de recherche auxquels le gouvernement fédéral reconnaît une importance stratégique. Concentration, dites-vous?

Un calcul rapide montre que chaque chaire touche plus de un million de dollars par année du Programme. Par comparaison, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada soutient financièrement quelque 10 000 projets continus de recherche fondamentale dans un large éventail de disciplines dans le cadre de son Programme de subventions à la découverte. En 2012, il a subventionné 2 161 chercheurs à hauteur moyenne de 31 000 $ environ.

Le Programme des chaires d’excellence en recherche du Canada a été mis sur pied pour attirer au Canada des chercheurs de calibre mondial de manière à placer le pays à l’avant-garde de la recherche. Il s’inscrit dans un mouvement plus vaste amorcé dernièrement par le gouvernement fédéral en vue de combler le soi-disant retard du pays en matière d’innovation en investissant dans les capa­cités d’innovation et de recherche dans des domaines prioritaires, à savoir les sciences et les technologies de l’environnement; les ressources naturelles et l’énergie; les sciences et les technologies de la santé et les sciences de la vie connexes; les technologies de l’information et des communications.

Dans son budget de 2012, le gouvernement fédéral s’est prétendument engagé à affec­ter 1,6 milliard de dollars dans le cadre du Plan d’action économique afin de promouvoir plus efficacement l’innovation. Toutefois, on ne sait pas trop combien d’argent frais entre dans ce montant, qui doit essentiellement servir à créer des emplois à valeur ajoutée. Ceci illustre bien l’intention du gouvernement d’appuyer l’innovation prioritairement en fonction des besoins du sec­teur privé.

Cette approche repose sur des données comme l’indice mondial de l’innovation — publié conjointement par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, une institution spécialisée des Nations Unies, et l’école de gestion INSEAD. En 2012, le Canada s’est classé au 74e rang sur 141 pays pour l’effica­cité de l’innovation. Par efficacité de l’innovation, on entend la capacité d’un pays à transformer ses engagements en intrants d’innovation, comme des investis­sements dans l’éducation, les gens et l’infrastructure (le Canada s’est classé 10e sur ce point) en extrants d’innovation, c’est-à-dire de nouveaux produits, la création d’emplois et des brevets (le Canada arrive au 20e rang sur ce plan).

À voir ces classements, on pourrait penser que le Canada est plutôt nul lorsqu’il s’agit d’exploiter à fond les résultats de son infrastructure de recherche et de développement. C’est du moins l’opinion du groupe d’experts indépendant chargé d’examiner le soutien fédéral de la recherche-développement, qui a été nommé par le ministre d’État aux Sciences et à la Technologie dans la foulée du budget fédéral de 2010. Le groupe a publié son rapport, intitulé « Innovation Canada : Le pouvoir d’agir », à la fin de 2011.

Le groupe d’experts recommande principalement de créer un conseil national sur la recherche et l’innovation industrielles doté d’un mandat clair centré sur l’innovation certes, mais l’innovation « en entreprise ». Cette distinction est capitale, car elle consacre la primauté du secteur privé comme moteur de l’innovation. À l’évidence, le mot innovation est alors vraiment synonyme de commercialisation. Comme suite logique, le groupe d’experts préconise aussi de revoir la politique de soutien au secteur privé de sorte qu’elle ne soit plus basée sur un financement indirect (habituellement des crédits d’impôt), mais plutôt sur un soutien plus direct sous forme de subventions, et qu’elle prévoit un accès plus facile au capital de risque et aux programmes d’approvisionnement du gouvernement. De plus, il prône une approche plus ciblée.

De la recherche fondamentale à une re­cherche encadrée et couplée à des attentes commerciales, il y a tout un monde. Dans ce modèle, le gouvernement fédéral financera une stratégie de commercialisation étroite et axée sur le court terme, une stra­tégie qui établit un lien direct entre les résultats des travaux et les intérêts des entreprises, une stratégie qui n’a que faire de la recherche académique menée dans nos établissements.

En 2012, le gouvernement n’a rien prévu dans son budget pour les trois conseils subventionnaires qui appuient des milliers d’universitaires canadiens engagés dans la recherche fondamentale. En fait, au cours des cinq dernières années, les conseils ont vu leur financement de base diminuer de près de 90 millions de dollars, alors qu’au même moment, un club sélect de cher­cheurs « vedettes » était considér­ablement mieux pourvu.

Qui plus est, des initiatives vitales, comme deux programmes du Conseil de recherches en sciences natu­relles et en génie du Canada, soit le Programme d’appui aux ressources majeures et le Programme de subventions d’outils et d’instruments de recherche, ont été éliminées. Des installations de re­cherche spécialisées ont fermé leurs portes, faute de financement. C’est le cas notamment du projet de la Région des lacs expérimentaux — un laboratoire en eau douce unique et de renommée internationale situé dans le nord-ouest de l’Ontario — et le laboratoire de re­cherche atmosphérique dans l’Extrême-Arctique PEARL, la station de re­cherche du Canada située à l’extrême nord qui surveillait l’appauvrissement de la couche d’ozone, la qualité de l’air et les changements climatiques.

L’argent accordé à une seule chaire d’excellence en recherche du Canada aurait suffi à financer ces tra­vaux de recherche et bien d’autres semblables.

Il y a deux enjeux dans ce dos­sier. D’abord, l’accent mis par le gouvernement fédéral sur la commercialisation a pour effet d’accorder au secteur privé les fonds qui étaient alloués à la recherche fondamentale. Le gouvernement ne tient pas compte de la réalité : la recherche, le développement et l’innovation sont inextricablement liés et jalonnent un continuum d’activité. La recherche fondamentale est la pierre d’assise de toute activité. Tout dé­pend d’elle. L’appauvrir, c’est compromettre tous les programmes de sciences et d’innovation.

Ensuite, les maigres fonds qui sont encore dégagés pour la recherche fondamentale au Canada sont de plus en plus accordés à quelques bénéficiaires seulement, et pour des projets menés dans des secteurs que le gouvernement fédéral juge stratégiques, comme en témoigne le Programme des chaires d’excellence en recherche du Canada. Il s’ensuit que des milliers de chercheurs au pays manquent cruellement d’argent et doivent déployer des efforts titanesques pour établir leurs projets de recherche et en assurer la survie. Force est de constater que des idées brillantes ne se matérialiseront jamais parce que les fonds ne sont pas disponibles ou simplement parce qu’elles s’écartent des domaines de recherche prioritaires du gouvernement.

Le financement de la recherche au Canada est-il sur la bonne voie? Je ne le pense pas.