De tout temps, les syndicats, particulièrement ceux du secteur public, ont été d’importants agents sociaux, économiques et politiques. Ils ont joué un rôle déterminant en rassemblant les travailleurs autour d’une revendication charnière, à savoir la création d’une société plus démocratique et plus juste, caractérisée par une prospérité générale, une plus grande égalité économique, des services publics de qualité et des programmes universels d’aide sociale.
Au cours des cinq dernières années toutefois, les politiques d’austérité budgétaire — fondées sur des idéologies néolibérales plutôt que sur des données économiques probantes — ont anéanti ces idéaux de société, soi-disant pour atteindre des objectifs indispensables comme la réduction des déficits et l’équilibre budgétaire. Évidemment, le gros des déficits était d’abord et avant tout la conséquence de dépenses inconsidérées, d’une déréglementation malavisée et de réductions d’impôt imprudentes.
Qu’à cela ne tienne, ces déficits ont été un prétexte commode pour sabrer les dépenses publiques, diminuer et privatiser les services publics, réduire l’effectif de la fonction publique, abolir des programmes sociaux et, de manière générale, alléger l’appareil bureaucratique et faire des économies. Par ricochet, les entreprises ont bénéficié d’un contexte plus favorable induit par la diminution de la réglementation et de l’impôt sur les sociétés, deux mesures qui ont creusé davantage le fossé de prospérité au Canada.
Les partisans de l’austérité ont saisi au vol l’occasion de susciter un sentiment de mépris à l’égard des fonctionnaires, et des syndicats qui les représentent. Les fonctionnaires ont été invariablement dépeints au public comme une lourde charge pour l’État, leurs salaires et leurs avantages sociaux éclipsant ceux des travailleurs dans le secteur privé. Le but recherché est, à l’évidence, de diviser les travailleurs en instaurant une dichotomie secteur public-secteur privé, et de susciter un nivellement par le bas des conditions de travail de tous.
Le néolibéralisme économique a réussi un véritable coup de maître en retirant aux travailleurs le pouvoir qu’ils détenaient et dont le mouvement syndical était la représentation. Aujourd’hui, la droite politique, sous le couvert de l’austérité et confortée par la mondialisation, l’avidité des employeurs, l’élaboration de politiques publiques hostiles et le cynisme de la population, attaque de façon soutenue et énergique les syndicats pour amoindrir leur pouvoir d’influence sur l’orientation des politiques publiques.
Les syndicats du secteur public et leurs membres sont la cible de choix. S’ils reculent, les syndicats du secteur privé ne tarderont pas à les imiter et, évidemment, sans l’appui du mouvement syndical, les travailleurs non syndiqués perdront tout espoir d’améliorer leur condition.
Les gouvernements fédéral et provinciaux ont mené cette attaque sur plusieurs fronts. D’abord, le projet de loi C-377, nous le savons, impose aux organisations ouvrières de produire à grands frais de multiples rapports sur leur situation financière. Il a été modifié par le Sénat et renvoyé à la Chambre des communes.
Cependant, il est mort au feuilleton au moment de la prorogation du Parlement, mais il refera presque assurément surface à la prochaine session, vu qu’il est considéré par le gouvernement Harper comme une arme importante pour affaiblir les droits des millions de travailleurs syndiqués.
Toutefois, les efforts de certains gouvernements pour présenter des lois dont on dit souvent qu’elles garantissent le droit au travail sont plus préoccupants. En fait, on devrait plutôt dire que ces lois sanctionnent le parasitisme. En effet, d’inspiration américaine, elles interdisent d’inclure dans les conventions collectives des dispositions obligeant les travailleurs représentés par un syndicat à lui verser des cotisations en contrepartie de ses services de représentation. Par cette interdiction, les travailleurs qui ne cotisent pas parasitent le système parce qu’ils profitent tout de même des avantages collectifs négociés par le syndicat et que ce dernier a quand même une obligation de représentation équitable envers eux.
Dans un nouveau rapport intitulé Implications of US Worker Choice Laws for British Columbia and Ontario, l’Institut Fraser préconise l’adoption de telles lois au Canada. Les auteurs soutiennent que ces lois contribuent généralement à diminuer le nombre de travailleurs couverts par des conventions collectives — comme si cela est une bonne chose — et stimulent le développement économique ainsi que la croissance de l’emploi.
Le rapport fait état d’une analyse de l’adoption aux États-Unis de lois garantissant le droit au travail. Les États ayant légiféré en ce sens ont connu un accroissement d’environ 1,8 % de leur développement économique et une croissance de l’emploi avoisinant 1 %. Sur la base de ces résultats, et d’expériences menées en Oklahoma, les auteurs concluent que la Colombie-Britannique et l’Ontario pourraient connaître des progressions semblables.
En réaction, le Centre canadien de politi-ques alternatives a publié une déclaration dans laquelle il brosse un tableau très différent de la situation des États ayant adopté une « loi du parasitisme ». Le Centre cite des statistiques compilées par la Fédération américaine du travail et le Congrès des organisations industrielles (FAT-COI) dans son document intitulé ‘Right to Work’ for Less.
D’après les données de la FAT-COI, dans un État garantissant le droit au travail par la voie législative, le travailleur moyen gagne 1 540 $ de moins par an, le revenu médian des ménages est inférieur d’environ 12 %, le nombre d’emplois peu rémunérés est supérieur d’à peu près 37 %, les taux de pauvreté sont plus élevés d’approximativement 17 %, la mortalité infantile est d’environ 15 % plus élevée, et le taux de décès lié au travail est de 36 % supérieur.
Au Canada, une partie de la classe politique reste aveugle à ces preuves accablantes et appuie le concept du parasitisme. Les travailleurs et les syndicats devraient garder l’oeil ouvert. Comment les travailleurs devraient-ils réagir aux menaces de ce genre, surtout lorsque celles-ci surviennent à un moment où le mouvement syndical de tradition sociale-démocrate a considérablement perdu de sa vigueur générale?
Lors de la récente fête du Travail, un éditorialiste du Toronto Star a écrit que, les entreprises ne le voient peut-être pas d’un bon oeil, mais le mouvement syndical est une force bien établie au service du bien commun, à qui bon nombre d’entre nous doivent un niveau de vie supérieur. On peut penser que c’est vrai; toutefois, le mouvement syndical aurait avantage à évaluer ses méthodes et son positionnement pour s’assurer d’être véritablement à la hauteur de ce portrait.
Le mouvement syndical fait face à un défi de taille, celui de se transformer en renouvelant ses visions de la syndicalisation et de la représentation des membres pour ne pas être à la traîne, mais bien aller au devant des enjeux. Il doit être le fer de lance de mouvements sociaux généralisés et bénéficiant d’un soutien public, qui militent en faveur d’une société plus démocratique et plus juste pour tous.
Quelle est la place de l’ACPPU dans tout cela? L’Association doit se joindre à ses partenaires actuels et à ses congénères qui partagent ses vues progressistes sur l’éducation postsecondaire et une société civile démocratique. La mise en commun de nos forces est le seul moyen de créer une société plus démocratique et plus juste pour tous, et de promouvoir l’intérêt supérieur de l’enseignement postsecondaire public en tant qu’élément indispensable de la société au sens large.