De tous les coins du pays, les membres autochtones du personnel académique convergeront vers Toronto pour assister, le premier week-end de novembre, à la quatrième édition du Forum à l’intention du personnel académique autochtone parrainé par l’ACPPU. Pendant trois jours, les participants décortiqueront le rôle des universitaires autochtones dans la revendication active de changements sociaux et politiques.
Deux thèmes retiendront particulièrement leur attention : le rôle des universitaires autochtones activistes dans leur communauté et sur la scène publique; et leur rôle au sein du milieu académique. Des membres renommés de la profession, Margo Greenwood, Greg Younging, Leroy Little Bear et Priscilla Settee, ouvriront le forum en prononçant des allocutions devant tous les participants réunis. Leurs contributions alimenteront les discussions qui suivront sur l’impact de la revitalisation culturelle, des alliances ainsi que de l’éducation des collègues et des cadres supérieurs sur la définition et le renforcement de ces rôles.
L’histoire montre que les Européens, voire les Canadiens, ont tenté pendant des centaines d’années de coloniser les territoires autochtones; il ne faut pas chercher plus loin la source de l’activisme autochtone. Les droits des Autochtones ont été bafoués à répétition, et ces peuples subissent encore les conséquences désastreuses de ces actes.
En effet, les statistiques prouvent qu’aujourd’hui, les communautés autochtones sont, plus que tout autre groupe au sein de la population canadienne, affligées par la pauvreté, le suicide, l’alcoolisme et la toxicomanie, les problèmes de santé, le chômage, l’analphabétisme et la violence sous toutes ses formes. Le racisme et l’oppression, encore présents, aggravent ces problèmes.
Par conséquent, l’activisme social et politique est ancré depuis longtemps au coeur des communautés autochtones du Canada, dont les multiples manifestations et luttes ont provoqué bien des changements. Le mouvement du « pouvoir rouge » qui a déferlé des États-Unis pendant les années 1960 a inspiré, de ce côté-ci de la frontière, un grand nombre d’actes de résistance, de manifestations et d’occupations contre, entre autres choses, les conditions de vie déplorables sur les réserves autochtones, la saisie des terres autochtones par le gouvernement et les dommages environnementaux causés par les projets miniers et énergétiques divers parrainés par l’État.
La fin des années 1960 a été caractérisée par la montée de la Fraternité nationale des Indiens. Le groupe a pris l’avant-scène en 1969-1970 en soulevant une vive opposition politique au tristement célèbre Livre blanc du gouvernement Trudeau — qui préconisait l’abrogation de la Loi sur les Indiens et l’abolition du ministère responsable, le ministère des Affaires indiennes de l’époque — et en parvenant ainsi à bloquer son adoption.
Quelque dix ans plus tard, la Fraternité nationale des Indiens a donné naissance à l’Assemblée des Premières Nations. À cette époque, d’autres organisations autochtones politiques et militantes ont également vu le jour, avec pour mission d’affirmer les cultures, les droits et les revendications des populations autochtones du Canada.
Si ces organisations jouent un rôle essentiel dans la défense des intérêts des Autochtones, un activisme de la base, tel qu’illustré par l’actuel mouvement d’opposition Idle No More, a toujours sa place. Comme le mouvement du pouvoir rouge avant lui, Idle No More est né en réaction au dépôt d’un texte législatif fédéral. Cette fois-ci, c’est le projet de loi omnibus C-45 du gouvernement Harper qui a mis le feu aux poudres. Aux yeux des Autochtones, le gouvernement tentait de se soustraire aux protections et aux droits que leur accordent la Loi sur les Indiens et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et avait pour objectif ultime d’acquérir les terres et d’éliminer les mesures de protection de l’environnement, pour ainsi faciliter la mise en valeur des ressources.
Donc, qu’est-ce qui différencie principalement le mouvement spontané et fluctuant Idle No More de ses prédécesseurs? À coup sûr, les médias sociaux ont énormément contribué à ce que ses activités soient coordonnées efficacement et à ce que ses messages parviennent à un public varié, à l’échelle locale, nationale et internationale. Par ailleurs, le mouvement a diversifié ses actions pour manifester son opposition : séances d’études structurées, manifestations populaires, grands rassemblements, barrages routiers, mobilisations éclair et projets de sensibilisation.
Cependant, la spécificité du mouvement tient peut-être surtout à la présence massive à sa tête de jeunes, et notamment de femmes. Au début de l’année, un journaliste du Globe and Mail écrivait que des « Autochtones diplômés de l’université, essentiellement des femmes, pressés d’accélérer le rythme des changements » étaient la force dirigeante du mouvement (What’s behind the explosion of native activism? Young people, 18 janvier 2013).
C’est également ce que constate Dan MacDonald, le membre ordinaire (Autochtones) au sein du comité de direction de l’ACPPU. Celui-ci s’est rendu dernièrement à Victoria, en Australie, en qualité de représentant de l’ACPPU au Forum autochtone 2013 organisé par la National Tertiary Education Union (NTEU). Dans un article rédigé par la suite pour le bulletin électronique de la NTEU, edXpress (numéro 008, juin 2013), il a relaté que de nombreux participants avaient évoqué « un mouvement de la base inspirant au Canada » et « l’impact d’Idle No More dans leurs communautés et sur leurs campus ».
M. MacDonald remarque également qu’« une jeune génération d’activistes émerge dans le monde entier (…) » et que « peut-être, les étudiants et les jeunes Autochtones en général donneront un nouveau souffle à nos efforts pour faire progresser les universités ».
L’une des principales fonctions du personnel académique est de favoriser l’épanouissement d’une population instruite et capable de penser par elle-même, et, oui, d’inspirer aux étudiants le désir d’être des « activistes » efficaces pour le bien commun de la société, comme on a pu le voir dans le mouvement Idle No More. Bien que la présence grandissante d’étudiants autochtones sur nos campus soit très prometteuse, la proportion de nos collègues autochtones dans le corps professoral se situe à moins de 1 %, ce qui est anormalement faible.
Cet écart est malheureux, car, comme M. MacDonald le souligne à juste titre, il signifie que, dans les établissements postsecondaires, les jeunes autochtones de toute une génération ne peuvent à peu près pas bénéficier de l’enseignement de professeurs issus de leurs communautés. Or, cela est indéniablement un facteur dans la réussite de ces jeunes dans leurs études, mais aussi leur vie durant.
Le forum de l’ACPPU en novembre est l’occasion pour les membres autochtones du personnel académique de mieux définir leur rôle d’universitaire activiste dans leur communauté, sur la scène publique et au sein du milieu académique. Cette réflexion collective est importante, d’abord pour élargir l’accès à nos campus aux professeurs autochtones et, de là, pour établir une présence nécessaire pour développer l’activisme des générations futures d’étudiants autochtones. L’ACPPU attend qu’on lui dise comment elle pourrait aider.