Les criminologues Chris Bruckert (à gauche) et Colette Parent de l'Université d'Ottawa ont obtenu gain de cause dans le différend portant sur la protection de la confidentialité de leurs dossiers – la première fois qu'un tribunal canadien reconnaît la relation privilégiée entre un chercheur et un participant à une étude.
Les chercheurs canadiens ont remporté une victoire déterminante lorsqu’un tribunal du Québec a opposé, le mois dernier, une fin de non-recevoir à un service de police qui tentait de saisir des dossiers de recherche confidentiels. Une
décision qui fait maintenant jurisprudence.
La juge de la Cour supérieure du Québec Sophie Bourque a rejeté la demande du Service de police de Montréal d’avoir accès à une entrevue vidéo réalisée avec le présumé meurtrier Luka Magnotta. Du même coup, la juge a confirmé, pour la première fois, le droit des chercheurs à protéger la nécessaire confidentialité des renseignements qu’ils recueillent aux fins de leurs travaux.
« C’est la première fois qu’un tribunal reconnaît la relation privilégiée entre un chercheur et un participant à une étude », a déclaré James Turk, directeur général de l’ACPPU. « Les tribunaux ont déjà reconnu l’importance sociale de protéger la confidentialité des sources journalistiques, et cette décision étend cette reconnaissance aux chercheurs universitaires. »
Dans sa décision, la juge Bourque a affirmé que de multiples recherches fournissent des informations utiles sur certains aspects de la condition humaine qui demeurent généralement dans l’ombre.
D’après elle, la preuve établit clairement que la plupart des recherches menées auprès de sujets vulnérables ne sont possibles que si les participants obtiennent la garantie que leur témoignage demeurera anonyme et confidentiel.
L’entrevue réalisée avec Luka Magnotta remonte à 2007 et s’inscrit dans une étude sur le commerce du sexe effectuée par deux criminologues de l’Université d’Ottawa, Chris Bruckert et Colette Parent.
La juge Bourque a statué que non seulement les travaux des deux chercheuses aidaient la communauté universitaire à mieux comprendre la vente et l’achat de services sexuels, mais qu’ils nourrissaient aussi les discussions de politique publique de la société en général sur cet aspect important, mais controversé, de la vie au Canada.
Elle a toutefois mis un bémol : tout comme le droit des journalistes à protéger l’identité de leurs sources d’information pendant les enquêtes policières, le privilège chercheur-participant n’est pas absolu. Dans chaque cas, il faut mettre dans la balance l’intérêt public, qui est servi par le respect de ce privilège, et l’intérêt des enquêtes criminelles.
Tout a commencé en juin 2012, quand la police de Montréal a demandé à Bruckert et à Parent de lui remettre l’enregistrement de l’entrevue confidentielle. Les deux chercheuses ont alors sollicité l’aide de l’ACPPU, qui a aussitôt retenu les services de Peter Jacobsen, un éminent avocat spécialisé dans la défense du secret professionnel des journalistes. De concert avec l’Association des professeur(e)s de l’Université d’Ottawa, l’ACPPU a également demandé à l’Université d’aider ses employées à respecter la promesse de confidentialité donnée au participant, comme elle y est tenue en vertu de la politique des trois conseils.
Dans une lettre envoyée à l’ACPPU en décembre 2012, l’établissement a toutefois refusé d’assumer les frais judiciaires des deux chercheuses, prétextant que ces frais étaient engagés « dans le cadre d’une procédure au criminel ».
En mars 2013, des membres des comités d’éthique en recherche de l’Université d’Ottawa sont intervenus, exhortant l’administration de l’établissement à soutenir financièrement les professeures Bruckert et Parent, et soulignant, comme l’avait fait l’ACPPU, qu’un comité avait approuvé leurs travaux de recherche à la condition que le caractère confidentiel des renseignements sur les participants soit protégé.
Six mois après l’audience présidée par la juge Bourque (en avril 2013), l’administration de l’Université d’Ottawa a fait marche arrière et versé 150 000 $ à l’ACPPU pour couvrir une partie des frais judiciaires.
M. Turk sait gré à l’Université de cette contribution, mais maintient que les universités ont l’obligation de protéger la confidentialité des dossiers de recherche de leur personnel académique. Il observe que la politique des trois conseils est sans équivoque : « les établissements doivent aider les chercheurs à tenir leurs engagements de confidentialité ».
Il estime que la décision de la Cour supérieure du Québec est très bénéfique, puisque les chercheurs peuvent maintenant faire confiance aux tribunaux pour reconnaître et considérer avec sérieux les garanties de confidentialité qui sont indispensables à l’exécution de leurs projets.