Nos universités et collèges publics sont des instruments de bien-être collectif indispensables. Lieux voués à la quête du savoir, ils contribuent à l’essor social, culturel, politique et économique de la collectivité. Ils favorisent l’épanouissement d’une population instruite et capable de penser par elle-même, qui est l’un des fondements d’une société civile démocratique pérenne. Pour l’ACPPU, il n’y a pas de doute : cette vision de l’éducation postsecondaire publique mérite d’être défendue.
Cette vision s’articule autour du travail du personnel académique, c’est-à-dire, essentiellement, de l’acquisition, de la diffusion et de l’application de connaissances au moyen de l’investigation, de l’enseignement et de la recherche critiques. Mais le personnel académique est appelé à s’investir dans bien d’autres activités — conférences publiques, communications lors de congrès, publications, exercice professionnel, établissement du fonds des bibliothèques, productions et prestations artistiques, la liste est longue — qui, considérées dans leur ensemble, brossent un tableau fidèle du travail académique.
Et pourtant, le travail académique est aujourd’hui assailli de toutes parts. Cible ou victime, cela importe peu. Il se fragilise rapidement sous les coups des idéologies néo-libérales, des gouvernements dominateurs et envahissants, des politiques d’austérité, de la mentalité d’entreprise et de l’importance donnée aux résultats financiers. Cette charge massive diminue aussi la capacité collective de nos établissements à s’acquitter de leur mission publique.
Face aux coupes sombres faites dans le financement public de l’éducation postsecondaire depuis des années, les dirigeants de nos universités et de nos collèges battent en retrait. Au lieu de réclamer une refonte du régime de financement public, ils ouvrent honteusement la porte aux collaborations avec les entreprises privées pour combler le manque à recevoir des gouvernements. Ce faisant, nos établissements abdiquent leur intégrité et ébranlent les principes académiques fondamentaux que sont l’autonomie de l’établissement d’enseignement et la liberté académique, comme le conclut un rapport de l’ACPPU diffusé récemment sous le titre «
Ouvertes au monde des affaires : à quelles conditions? ». Cette approche porte atteinte au travail académique et pourrait amener nos établissements à se détourner de l’intérêt public pour se mettre au service d’intérêts privés.
Qui plus est, la tradition de la gouvernance collégiale sur nos campus se meurt, souvent remplacée par des modèles d’affaires copies sur ceux du secteur privé, avec un processus décisionnel plus hiérarchisé et centralisé. Alors qu’auparavant, elles avaient essentiellement pour fonction d’appuyer la mission académique, nos administrations sont devenues des groupes de cadres supérieurs qui considèrent que le corps professoral comme le personnel non académique sont des ressources à gérer au même titre que les immeubles et les équipements. Quant aux étudiants, ce sont aujourd’hui des clients qu’il faut satisfaire.
Dans cette nouvelle donne, nos « gestionnaires » portent plus attention aux états financiers qu’à la qualité des programmes d’enseignement. Comme ils subissent, en plus, des pressions externes pour réduire les coûts, mesurer le rendement individuel et distinguer des programmes d’enseignement prioritaires, ils réclament inévitablement plus de souplesse et des pouvoirs accrus pour assurer le fonctionnement des établissements et la gestion des ressources, en particulier les ressources humaines. Pour rétablir l’équilibre, il faut évidemment diminuer la participation et la voix du personnel académique dans la gouvernance des établissements.
Je pense toutefois que la menace la plus grave qui pèse actuellement sur le travail académique est ailleurs, dans la croissance anarchique du travail intermittent à tous les niveaux du personnel académique. Un nombre sans précédent de contractuels académiques se trouvent aujourd’hui dans des situations extrêmement précaires, occupant des postes peu rémunérés. Nos employeurs ont beau déplorer de temps à autre le fait qu’ils doivent embaucher des occasionnels, dans la réalité — c’est-à-dire dans leur univers strictement comptable — ils s’empressent d’exploiter cette main-d’oeuvre à bon marché et vulnérable. Ils aiment bien aussi le sentiment de jouir de plus d’emprise sur le milieu de travail et sur les employés, d’avoir davantage les coudées franches, qui découle implicitement de l’insécurité grandissante des travailleurs.
D’après le récent rapport de l’American Association of University Professors,
The Employment Status of Instructional Staff Members in Higher Education, Fall 2011, le pourcentage de professeurs aux États-Unis qui occupent des emplois intermittents est passé de 55 à un peu plus de 75 % entre 1975 et 2011. Pendant cette période, l’embauche de personnel intermittent a augmenté à un rythme environ dix fois plus élevé que celui des professeurs ayant la permanence ou en voie de l’obtenir, et cette croissance a représenté 92 % de la croissance totale de la période. Le manque de données nous a empêchés de dresser un portrait exact de la situation au Canada. Toutefois, il n’y a pas lieu de penser que les choses seraient différentes de ce côté-ci de la frontière.
Pour remplir leurs obligations envers la société, les universités et les collèges doivent reconnaître l’autonomie de l’établissement d’enseignement et la liberté académique comme leurs principes fondamentaux, et s’en faire les champions. Ils doivent s’affranchir de toute influence externe et definer leur orientation académique en collégialité. Le personnel académique doit avoir toute latitude dans ses activités d’enseignement, de recherche et d’érudition, et pouvoir critique son employeur, si tel est son bon vouloir. De plus, il importe de protéger à tout prix le libre échange d’idées et la communication de découvertes.
Ces conditions essentielles font partie intégrante du travail académique. Sans elles, nos établissements et leur personnel académique ne peuvent s’acquitter pleinement de leurs obligations sociales. S’en prendre à l’une de ces conditions, quelle qu’elle soit, revient à s’attaquer au travail académique, et vice-versa. Face aux nombreux nuages qui obscurcissent le ciel de l’éducation postsecondaire, c’est l’intégrité même des universités et des colleges qui est en jeu, et par le fait même, la confiance du public, puisque ces deux valeurs sont irrémédiablement liées.
Par conséquent, je soutiens qu’en tant que fédération nationale d’associations de personnel académique, l’ACPPU a incontestablement le devoir de protéger énergiquement, et de promouvoir fièrement, le travail académique. Pourquoi? Simplement parce que cela est dans l’intérêt du public. Sans ce soutien, nos établissements d’enseignement deviendront des institutions moins essentielles et pertinentes pour la société, et failliront à leur mission publique de contribuer au bien-être collectif.
Cependant, nos efforts de mobilisation autour de la défense de notre vision du travail académique et de l’éducation postsecondaire devront notamment porter sur l’information proactive de nos membres et, encore plus important, du grand public, quant au rôle et à la valeur de l’éducation postsecondaire comme moteur essentiel de l’évolution de la société. Après tout, l’éducation postsecondaire est une question de politique publique au Canada — non pas du ressort exclusif du milieu académique — de sorte que protéger l’éducation postsecondaire sert l’intérêt public. L’ACPPU adhère à cette vision de l’éducation postsecondaire et continuera de montrer la voie et d’offrir son soutien pour qu’elle devienne réalité.