À l’aube d’une nouvelle session, la fièvre du changement s’est emparée des campus. Les étudiants découvrent un monde d’idées insoupçonnées, et les professeurs testent de nouveaux plans de cours et définissent des programmes de recherche inédits. Pour notre part, nous sommes heureux à l’ACPPU d’accueillir dans nos rangs Sylvain Schetagne à titre de directeur général associé. Nous espérons que cette année universitaire soit marquée par l’expérimentation, l’innovation et l’action.
Cependant, d’autres changements, moins heureux ceux-là, sont en marche dans le secteur de l’éducation postsecondaire. Pendant que notre attention était tout entière tournée vers l’enrichissement de nos compétences pour atteindre le plus haut niveau possible dans l’enseignement et la recherche, des décisions ont été prises progressivement — au point de passer largement inaperçues —, attaquant l’essence même de notre profession. Ces initiatives ont généralement été le fait de politiciens conservateurs, de pontifes des médias et d’« experts en éducation » autoproclamés, qui n’ont pas daigné y faire participer le milieu académique. Elles s’incrivent dans un courant radical qui vise à supprimer le financement public des programmes sociaux au Canada et à déléguer ceux-ci au secteur privé. Les dures conséquences de ces décisions commencent à se faire sentir, mais il y a pis encore : le travail de sape n’est pas terminé.
Privatisation, marchandisation, néolibéralisme, frénésie de gestionnariat, ou tout simplement « capitalisme », tous ces mots décrivent les atteintes à l’idéal de l’université publique et au bien-être de nos collègues, des étudiants et, en définitive, de l’ensemble de la société. L’approche de la négociation « serrée » — il faudrait plutôt dire de l’intimidation et des ultimatums — adoptée par la direction de l’Université de Windsor à l’endroit du corps professoral en est un exemple. Autre cas : les directions de l’Université Mount Allison et de l’Université du Nouveau-Brunswick ont pris des décisions tellement excessives que le personnel académique de ces institutions a dû tenir un vote de défiance à leur égard. À l’Université de la Saskatchewan, les recteurs pensaient être en mesure d’affaiblir le système d’octroi de la permanence, alors qu’à l’Université Capilano, l’administration a autorisé le démantèlement d’une sculpture faite par un professeur. Il semble que la gouvernance collégiale cède le pas à un taylorisme de plus en plus primaire : les membres du personnel académique (précarisés, car souvent engagés à titre d’employé temporaire ou à temps partiel) sont apparentés aux ouvriers d’une chaîne de montage inéluctablement soumis aux diktats des surveillants administratifs.
Il est partout question de nouvelles initiatives pour abolir des programmes « inefficaces », instaurer des indicateurs de « productivité » et améliorer la « satisfaction de la clientèle ». C’est par cette voie que l’entreprise privée — et ses intérêts commerciaux — s’immisce dans ce qui étaient, et devraient demeurer, des espaces académiques voués résolument à la quête et à la diffusion désintéressées du savoir pour le bien de la collectivité. On dirait que la distance séparant les conseils d’administration axée sur les affaires et les corps professoraux s’est creusée au point de devenir un gouffre presque infranchissable, et ce, bien qu’ils partagent prétendument le même profond engagement à l’égard de l’enseignement et de la recherche.
Quiconque penserait, comme les anti-intellectuels, que ces événements surviennent simplement en réaction au gaspillage de fonds publics et au manque de pertinence qui caractériseraient aujourd’hui les universités commettrait une grave erreur. Car la réalité est tout autre. C’est précisément à cause de leur valeur inégalée et de la vaste influence qu’elles peuvent avoir sur la société que les universités sont (et ont toujours été) des objets de contestation politique. Les universités sont des lieux essentiels de découverte intellectuelle, des agents économiques importants à l’échelle locale et nationale ainsi que des acteurs qui alimentent et canalisent les énergies des futurs visionnaires de notre société. Elles sont également des entreprises multimillionnaires grâce à leurs nombreux actifs, notamment leur parc immobilier.
Mais il est encore plus important, particulièrement dans ce pays, de souligner que les universités sont devenues au fil des générations, au prix de minutieux efforts, un trésor national de vie intellectuelle financée par le secteur public. Elles ne sont pas la propriété d’entreprises donatrices, de membres de conseil d’administration aux carnets de relations bien remplis, d’administrateurs-PDG ou de consultants hors de prix. Elles sont un bien public, et la population compte sur nous, experts de l’enseignement et de la recherche, pour assurer la pérennité de ce bien afin d’en faire profiter les générations futures.
Dans ce flot de nouvelles fâcheuses, il y a toutefois matière à optimisme, puisqu’il est encore temps de se porter à la défense des meilleurs éléments de la tradition universitaire. Grâce au travail des professeurs à l’échelle locale, provinciale et nationale, les universités canadiennes sont encore reconnues dans le monde entier comme exemplaires pour ce qui est de la protection des droits essentiels en milieu de travail comme la liberté académique et la gouvernance collégiale. Nous devrions tous tirer notre chapeau à nos collègues des universités mentionnées plus haut, et de toutes les autres au pays, pour leur résilience et leur dévouement. Afficher notre fierté chaque fois que nous résistons aux tentatives d’intrusion des entreprises dans nos institutions et brandissons notre engagement à l’égard d’une vision de l’éducation universitaire en tant que bien collectif.
Nous pouvons tous participer à ce mouvement de résistance et témoigner de notre engagement. En classe, sur le campus, dans les médias et dans nos communautés, il ne tient qu’à nous de dire la vérité aux pouvoirs en place, mais aussi d’illustrer les vérités auxquelles nous croyons par nos paroles et nos gestes : il est possible de vivre et d’agir comme des professionnels universitaires animés de la passion de partager leurs connaissances et leurs découvertes, dans l’intérêt de toute la société.