Un squelette dans le placard ». Telle est l’expression employée dans une émission spéciale à l’antenne de CBC Radio le mois dernier. Pour nous qui travaillons dans le secteur de l’éducation postsecondaire au Canada, le recours accru à du personnel académique contractuel — des professeurs plus ou moins intermittents, précarisés par leur statut de contractuel, privés des avantages de la permanence — n’a rien de secret. Les injustices professionnelles qui sont trop souvent le lot de ces contractuels académiques sont également bien connues.
Professeurs auxiliaires, maître de conférences (en Europe), chargés de cours (au Canada), professeurs intermittents, professeurs nommés pour une durée limitée, professeurs invités — la liste des titres de poste est sans fin. La complexité des appellations va de pair avec la diversité des expériences de travail du personnel académique contractuel. Aux niveaux collégial et universitaire, certains professeurs sont permanents et enseignent à temps plein (bien que leur charge d’enseignement puisse être bien inférieure à celle de nombreux professeurs qui travaillent soi-disant « à temps partiel » et se déplacent de campus en campus), alors que pour d’autres, l’enseignement est un emploi complémentaire, temporaire ou occasionnel. Nombre de professeurs acceptent seulement des postes contractuels parce qu’ils n’ont pas accès à des postes menant à la permanence; d’année en année, ils font des pieds et des mains pour maintenir à niveau leur profil de recherche et demeurer performants dans le marché du travail académique hautement concurrentiel, même si leurs efforts ne sont pas reconnus ni appuyés par leur employeur. Certains sont favorisés par la chance, et finissent par dénicher un emploi gratifiant dans le milieu académique ou ailleurs. D’autres tirent une grande satisfaction de leur profond engagement dans la communauté académique, et du respect qui leur est témoigné, indépendamment de leur statut de contractuel. Mais on ne s’étonnera pas si des milliers d’érudits dévoués, contraints d’assumer la charge d’enseignement d’un professeur, souvent du jour au lendemain, sans pour autant bénéficier pleinement de la sécurité, de la rémunération et des avantages d’un professeur, sans soutien ou si peu, et sans lueur de changement à l’horizon, éprouvent tout naturellement des sentiments d’amertume, de ressentiment et de désespoir, et voient même leur santé se détériorer gravement.
Un système qui crée deux catégories d’employés du point de vue de la rémunération et des conditions de travail alors que tous sont assujettis à des exigences semblables en matière de formation et de tâches est toujours une source de problèmes. Il est particulièrement inacceptable dans un milieu de travail syndiqué qui se veut sain. Pourtant, les emplois précaires, comme les emplois temporaires, sont devenus la « nouvelle norme » dans le milieu académique et dans d’autres secteurs. Pourquoi? Certes, une main-d’oeuvre bon marché, « juste-à-temps », est un cadeau du ciel pour les bilans des sociétés et conforte les orientations néolibérales. Toutefois, de nombreux administrateurs estiment que le maintien de deux catégories (ou plus) de professeurs procure un avantage supplémentaire indéniable, qui s’appelle « diviser pour régner ». La cohabitation des contractuels académiques et des professeurs réguliers (permanents ou sur la voie de la permanence) plus privilégiés peut susciter des jalousies et des antagonismes, et il est plus facile de gérer et d’exploiter des parties à un conflit. Nous devons résister à ces manoeuvres de division motivées par l’égoïsme, car la précarisation constante du personnel académique n’épargnera personne à long terme.
Les frustrations et les défis quotidiens des contractuels académiques sont l’affaire de tous. Ils touchent les étudiants quand ceux-ci ne peuvent communiquer ou tisser des liens avec leurs professeurs, trop préoccupés ou simplement de passage. Et même si les universitaires contractuels sont animés des meilleures intentions du monde, la multiplication des professeurs non permanents menace les idéaux universitaires fondamentaux. Par exemple, la liberté académique, on le sait, ne veut rien dire pour les professeurs qui courent toujours le risque de perdre leurs affectations de cours (et leurs moyens de subsistance) sans qu’ils sachent pourquoi. De même, la gouvernance collégiale est mise à mal quand le nombre de professeurs autorisés à participer pleinement aux décisions importantes, notamment sur les programmes d’études, diminue continuellement. En fait, les injustices commises systématiquement à l’endroit des collègues font outrage à la notion même de collégialité; s’ils ne sont pas remis en question ou bridés, de tels agissements peuvent très bien transformer des universités fières de leur tradition démocratique en moulins à diplômes et en infoboutiques stériles.
Chaque mois d’octobre, la Semaine de l’équité d’emploi vient nous rappeler que toutes les tâches académiques doivent être justement appuyées, validées et rémunérées. Nous avons tous travaillé fort pour obtenir les mêmes diplômes d’études supérieures, et les mêmes titres de compétences en recherche et en enseignement. Nous avons tous en commun certaines tâches — l’enseignement, que ce soit dans des auditoriums bondés ou dans des laboratoires, à titre de mentor de chaque étudiant; et la recherche, même si des employeurs pensent que la recherche peut se résumer à la lecture de nouveaux rapports et à la mise à jour de programmes d’études pendant nos périodes de chômage ou de petits boulots en attendant le prochain contrat. Nous sommes tous égaux en ce qui concerne la reconnaissance des crédits d’enseignement et des crédits d’études auxquels nos cours donnent droit. Nous sommes tous une source d’inspiration et pouvons tous changer des vies. Nous méritons tous des conditions de travail décentes pour être en mesure de répondre aux attentes élevées de la société à notre égard.
À l’heure actuelle, trop peu de membres du personnel académique contractuel jouissent de telles conditions de travail. La diversité et la complexité des groupes de contractuels académiques aux besoins variés, et le choc des intérêts avec d’autres groupes sur les campus plus préoccupés par le court terme, portent à conclure que les collèges ou les universités vivront des situations différentes auxquelles ils apporteront des solutions uniques. Travailler à l’amélioration de notre condition peut être difficile, frustrant et, parfois, vraiment décourageant. Ce travail est pourtant essentiel et c’est en le faisant tous ensemble que nous marquerons des points. À l’occasion de cette édition de la Semaine d’équité d’emploi, et chaque semaine qui suivra, nous devons avoir la ferme volonté de nous engager collectivement à accorder de l’importance à l’exploitation de nos collègues contractuels, à trouver des solutions efficaces et à nous battre pour assurer l’intégrité de notre milieu de travail commun.
La Semaine de l’équité d’emploi, du 27 au 31 octobre 2014. Agissez! Participez! Ressources!