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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

décembre 2014

L’importance de l’équité

Par Robin Vose
Ce mois de décembre est tristement mar­qué par la commémoration du 25e anniversaire de la tragédie de l’École Polytechnique de Montréal — le meurtre ciblé de 14 femmes, pour des raisons politiques, par un « antiféministe » avoué. Cet événement a eu une valeur éducative pour bon nombre d’entre nous, en ce qu’il a été révélateur d’une dure réalité, la violence exercée couramment à l’égard des femmes dans notre société. Il nous a aussi douloureusement rappelé que nos universités et nos collèges ne sont pas des havres de sécurité, car ils sont trop souvent le théâtre d’explosions de violence et de haine. Nous avons été contraints d’examiner de plus près les moyens qu’en tant que société, nous étions prêts à prendre pour mettre un terme à la violence faite aux femmes, limiter l’accès aux armes à feu et, enfin, explorer les racines de l’intolérance et de la discrimination sous toutes leurs formes.

Nous n’avons malheureusement pas été à la hauteur de la tâche. Le sexisme, la misogynie et la violence sexuelle continuent de sévir, que ce soit sur nos campus ou dans le reste de la société. La « culture du viol » persiste et, à bien des égards, ses manifestations sont plus visibles que jamais. Les événements survenus récemment à CBC et sur la Colline du Parlement montrent bien que de nombreuses femmes sont encore victimes de discrimination et de violence même dans les milieux de travail les plus respectables, si ce n’est à la maison et en public. Le nombre dispropor­tionné d’agressions et de meurtres ciblant des femmes autochtones au pays est peut-être la réalité la plus troublante, et constitue un scandale national auquel il faut s’attaquer de toute urgence.

Nous sommes parfois accablés par la portée et l’étendue de ces actes de violence. Toutefois, au terme de ces 25 années de recherche, de réflexion et de mobilisation, nous avons au moins acquis une compréhension plus large du problème. Nous sommes de plus en plus conscients de la manière dont tous les éléments d’altérité, comme le genre, l’identité de genre, la sexualité, la race, l’invalidité, l’âge et la classe sociale, interagissent pour compliquer et faciliter les comportements discriminatoires. Nous avons certes besoin de pousser plus loin nos recherches, mais nous avons aujourd’hui une bien meilleure idée des politiques et des ressources susceptibles de prévenir ou d’atténuer la discrimination et la violence. Il manque toutefois la volonté politique de s’attaquer au pro­blème avec tout le sérieux qu’il mérite.

Peu importe nos privilèges, notre genre, spécialité, statut ou rang, nous devons nous rendre compte que l’injustice sociale nous concerne tous. En tant que membres du personnel académique d’une université ou d’un collège, nous pouvons parfois nous retrancher derrière la quiétude de nos classes, bureaux ou laboratoires, pour nous concentrer sur notre mission première : l’enseignement et la recherche de haut calibre. C’est bien, et nous devons défendre vigoureusement cette sécurité et ce bien-être relatifs.

Nous avons aussi le devoir de reconnaître les limites de notre situation confortable, et d’examiner si elle est une source d’inégalités. Est-ce que des femmes, et des membres d’autres groupes souvent désavantagés, se sentent bien accueillis et en sécurité dans ces lieux que nous fréquentons? Pouvons-nous être plus vigilants en matière d’équité et de non-discrimination, et plus respectueux des droits de la personne — ceux de nos étudiants et collègues, de nos voisins et de nos parents —, et être la conscience de nos établissements à ces égards?

Si nous balayons ces enjeux du revers de la main, non seulement contribuons-nous à maintenir le statu quo général, fait d’injustices et de préjudices souvent dévastateurs, mais nous nous exposons aussi à perdre certains de nos étudiants et collègues les plus prometteurs. Trop d’entre eux, victimes de menaces et de pratiques discriminatoires, n’ont pu, depuis trop longtemps, participer pleinement à la vie académique.

Ce ne sont pas des questions secondaires dont il convient de nous décharger sur des militants connaisseurs pour nous consacrer surtout à nos activités professionnelles. En l’absence d’équité, les injustices et les perceptions déformées peuvent teinter le moindre aspect de nos vies professionnelles — de la dynamique en classe à l’évaluation par les pairs et aux programmes de subventions, des actions des comités de recrutement, de promotion et de permanence au simple fait de circuler sur le campus. À vrai dire, l’équité est un objectif fondamental pour nous tous, et en tant que membres de syndicats et d’associations de personnel académique, elle doit être un sujet de préoccupation constant.

Quand nous luttons pour améliorer les salaires et les conditions de travail, nos efforts doivent profiter à tous — pas seulement à la majorité, mais aussi à toutes les minorités, y compris les groupes les plus marginalisés. Nous devons créer un milieu de travail où tous nos confrères et toutes nos consoeurs pourront prendre la parole et se sentir en sécurité, où leurs préoccu­pations seront entendues et leurs contri­butions, reconnues. Plus encore, nous devons tout faire pour que l’ensemble de la société se range du côté de l’équité et de l’inclusion.

Le 6 décembre 1989, 14 femmes ont été brutalement tuées simplement parce qu’elles se trouvaient dans un lieu de savoir — identique à celui où nous travaillons tous les jours. On leur a violemment enlevé la possibilité de se bâtir un avenir, ou de continuer à exercer leur profession. Nous leur devons, comme nous devons à toutes les autres victimes d’actes de discrimination et de violence, de travailler à rendre la société en général, et notre milieu académique en particulier, plus juste et plus équitable, où la différence et l’identité ne sont pas des obstacles à l’épanouissement.

Prenons la ferme décision de met­tre l’équité au coeur de toutes nos actions. De dénoncer et de condamner immédiatement le sexisme, la misogynie et toutes les autres manifestations d’inégalité dont nous serons témoins dans nos communautés. Et engageons-nous à utiliser notre capacité d’agir et nos ressources (souvent très considérables) en tant que membres du personnel universitaire et collégial pour as­surer que nous tirons des leçons des injustices du passé pour façonner l’avenir.