Les enjeux que continue de susciter la politique scientifique du gouvernement fédéral ont été au centre d’un débat d’experts qui s’est déroulé le 27 novembre dans une salle comble de l’Hôtel Westin à Ottawa.
Pendant que les partis politiques du pays fourbissent leurs armes en vue des élections fédérales de l’an prochain, les scientifiques et chercheurs du Canada braquent les projecteurs sur ce qu’ils considèrent comme le lamentable bilan du gouvernement.
Dans une assemblée publique organisée par l’ACPPU le mois dernier, chercheurs et représentants politiques ont débattu de la politique scientifique et du soutien à la recherche au Canada.
« Selon le consensus qui se dessine au sein de la communauté scientifique et de la recherche, le gouvernement fédéral fait fausse route », a déclaré le président de l’ACPPU Robin Vose dans son mot d’ouverture devant une salle comble. « La science à bon escient, c’est essentiel tant pour l’économie et les affaires sociales que pour la santé et la sécurité publiques. »
L’assemblée publique, tenue dans le cadre de la campagne «
La science à bon escient » de l’ACPPU, était animée par le journaliste scientifique Mike De Souza et réunissait les panélistes Béla Joós, professeur de physique à l’Université d’Ottawa; Diane Beauchemin, professeure de chimie à l’Université Queen’s; Christina Muehlberger, présidente de l’Association des étudiantes et étudiants diplômés de l’Université Carleton; Ted Hsu et Kennedy Stewart, porte-parole en matière de sciences et de technologie du Parti libéral et du NPD; et Tim Powers, un proche du Parti conservateur.
Le professeur Joós de l’Université d’Ottawa a expliqué que le soutien et la formation destinés aux chercheurs au Canada étaient en chute libre, et que le gouvernement tentait de masquer le problème en créant de nouveaux programmes comme les chaires d’excellence en recherche du Canada qui ne répondent guère aux besoins.
« Le programme des chaires d’excellence en recherche du Canada n’appuie que les activités de recherche qui correspondent aux priorités du gouvernement ou qui ont des retombées économiques directes », a-t-il dit. « Or, il incombe au gouvernement de soutenir un large éventail de domaines de recherche. Faute d’investir dans les activités scientifiques publiques, le gouvernement nous prive de l’expertise nécessaire pour répondre aux urgences comme les pandémies et les changements climatiques. »
Selon Mme Beauchemin, chimiste à l’Université Queen’s, les chercheurs universitaires doivent réaliser des travaux qui l’étaient antérieurement par les agences et scientifiques gouvernementaux. Elle reçoit d’ailleurs de plus en plus de requêtes de la GRC pour l’examen de preuves médico-légales.
« Nous, universitaires, continuons d’accepter ce travail qui aboutit chez nous, car nous savons qu’il est essentiel », a-t-elle dit. « Mais nous nous devons de dénoncer la situation. »
Tim Powers, un proche du Parti conservateur, a enflammé le débat en demandant en quoi on pouvait conclure à l’absence d’engagement du gouvernement envers la science et au bâillonnement des scientifiques fédéraux. Les députés Kennedy Stewart du NPD et Ted Hsu du Parti libéral ont tous les deux affirmé avoir entendu de nombreux scientifiques et chercheurs de partout au pays se plaindre de l’ingérence du gouvernement dans leurs travaux et de la nécessité d’obtenir une permission officielle des responsables politiques avant de s’exprimer publiquement.
Quant à savoir comment revenir à la science à bon escient, la plupart des panélistes ont convenu que le gouvernement doit rétablir le financement de la recherche fondamentale, réinvestir dans les activités scientifiques fédérales, et protéger l’indépendance et l’intégrité de la recherche scientifique. À cet effet, M. Stewart a proposé un projet de loi d’initiative parlementaire (projet de loi C-558) qui créerait un poste de directeur parlementaire des sciences, tandis que M. Hsu a déposé le projet de loi C-626 qui prévoit le rétablissement du questionnaire détaillé de recensement.
« On tend largement à penser que la politique scientifique ne repose plus sur des données probantes, mais sur une idéologie », a déclaré Christina Muehlberger, étudiante à l’Université Carleton. « Cette orientation se répercute sur la société et le milieu universitaire où les étudiants des cycles supérieurs doivent composer, pour la réalisation de leurs travaux, avec des budgets rétrécis et des restrictions imposées par des donateurs privés. Nous aurons indéniablement à nous prononcer sur cette question lors des prochaines élections. »
M. Joós admet qu’il est temps pour la communauté scientifique canadienne de politiser le débat.
« La recherche scientifique au Canada a de solides assises qui remontent au-delà de 2004 et nous devons lutter pour les préserver », a-t-il soutenu.
Ed Holder, ministre d’État (Sciences et Technologie), a préféré décliner l’invitation de participer à l’événement qui lui avait été adressée.
L’assemblée publique d’Ottawa inaugurait une série d’assemblées locales que tiendra l’ACPPU d’ici un an en vue de sensibiliser le public à la nécessité de réorienter la politique scientifique au Canada.