Au moment où les partis politiques commencent à se positionner en prévision des élections fédérales de 2015, nous devons veiller à ce que l’épanouissement de nos universités et collèges demeure un enjeu politique important. Les professeurs et les chercheurs sont incontestablement des maillons essentiels d’une société en santé et riche en possibilités de développement; une société moderne qui ne peut s’appuyer sur un secteur de l’éducation postsecondaire fort est tout simplement condamnée à stagner. Nos membres le savent. Voilà pourquoi c’est auprès des candidats en campagne que nous devrons marteler ce message dans les débats politiques qui auront lieu dans les prochains mois. Il ne fait aucun doute que l’issue de la joute politique à venir aura des conséquences sur l’avenir de nos communautés académiques pour bien des générations.
Cependant, aucun groupe ne vit en vase clos, et les membres du personnel académique sont particulièrement bien placés pour comprendre les liens combien inextricables qui les unissent à leurs concitoyens. Les universités sont actives dans la communauté hôte et la soutiennent; inversement, leur santé et leur survie dépendent des contributions et du soutien de cette communauté. Les politiques qui ont une incidence sur la vie de leurs étudiants, de leurs collègues et de leurs familles peuvent aussi se répercuter sur chaque membre du milieu académique. Nous débattrons bientôt des orientations futures de notre pays, et il sera alors capital de se pencher sérieusement sur ces politiques — même si, de prime abord, elles semblent être plutôt en marge des préoccupations immédiates de la vie académique.
Un exemple évident des effets des politiques publiques communs au personnel académique et à la communauté en général nous est plus que familier : l’inflation débridée des frais de scolarité et, en corollaire, l’endettement étudiant, si répandu. Nous connaissons les dommages financiers, sociaux et psychologiques que les décisions du gouvernement infligent, à court et à long terme, à la population, et particulièrement aux personnes les plus vulnérables. Nous avons été témoins de leurs conséquences dramatiques au fil des ans sur les résultats académiques d’étudiants pourtant prometteurs. Mais nous ignorons combien d’étudiants du secondaire ne peuvent même pas envisager de poursuivre leurs études au niveau supérieur, faute d’argent. Par ailleurs, les obstacles qui se dressent devant les Autochtones désireux d’accéder à l’éducation postsecondaire sont particulièrement redoutables, et cette inégalité est une honte nationale tant elle appauvrit nos universités et nos collèges.
Le problème complexe de l’accessibilité s’ajoute à toutes les autres questions interdépendantes pour lesquelles les politiques de tous les niveaux de gouvernement doivent être réformées de toute urgence. Le manque de services de garde adéquats à prix abordable est une complication réelle pour les familles où les deux parents occupent un emploi, sans distinction de classe sociale. Mais ce sont les parents qui tentent d’aller à l’université ou au collège qui en souffrent le plus, surtout s’ils viennent de s’établir dans une ville ou un quartier où ils ne connaissent personne, n’ont pas de réseau d’entraide et n’ont pu préalablement faire inscrire leurs enfants sur une liste d’attente.
La réduction des prestations d’assurance-emploi et des allocations aux anciens combattants, et l’absence d’un salaire minimum viable — ce qui touche spécialement les étudiants et leurs familles qui doivent travailler à temps partiel pour arriver à payer les études postsecondaires — ont des conséquences tout aussi dévastatrices. Et après s’être donné toute cette peine, que peuvent espérer les diplômés? Si rien n’est fait pour mettre un terme aux attaques actuelles contre les lois du travail et les syndicats, c’est la précarité en permanence dans des postes contractuels à durée limitée, sans assurance médicale ou régime de retraite, qui attend un trop grand nombre d’entre eux. Ces diplômés auront beaucoup de mal à aider financièrement leurs propres enfants à faire des études postsecondaires, et dans ce cas-ci également, nos communautés académiques en sortiront appauvries.
Nous, les universitaires, avons tendance à nous concentrer sur les préoccupations immédiates et pressantes liées à notre travail : comment mener de front de façon satisfaisante notre mission d’enseignement et nos projets de recherche de haut niveau, alors que nous devons composer avec des contraintes toujours plus lourdes à l’ère de l’austérité et des excès des administrations. Mais quand nos étudiants ne peuvent apprendre dans des conditions adéquates, ou que certaines personnes sont exclues de nos institutions parce que le gouvernement refuse d’agir pour résoudre les problèmes sociaux que sont les frais de scolarité élevés, l’endettement, les services de garde déficients et la pauvreté généralisée, nous le ressentons tous.
Ceux et celles d’entre nous qui ont eu la chance dans le passé de poursuivre des études postsecondaires abordables, et qui occupent aujourd’hui un emploi plus ou moins sûr, ne peuvent se fermer les yeux sur le fait que tant de leurs voisins — y compris leurs collègues dont l’emploi contractuel ne procure pas un salaire vital, des avantages sociaux ou une rente de retraite — n’auront probablement pas les moyens d’envoyer plus tard leurs enfants à l’université ou au collège. Des réformes en profondeur sont nécessaires pour inverser la tendance, et tant qu’elles ne seront pas réalisées, la situation de nos communautés continuera de se détériorer. Le monde de l’éducation postsecondaire ne sera pas épargné au passage.
Nous sommes tous concernés. Les élections de 2015 seront en grande partie un test qui montrera dans quelle mesure nous en sommes conscients, et jusqu’à quel point nous voulons être solidaires des étudiants, des collègues, des familles et des autres membres de la communauté en général qui revendiquent un meilleur avenir dans l’intérêt de tous.