Le 14 mars, des manifestants se sont rassemblés sur la Colline du Parlement à Ottawa lors d’une journée nationale d’action contre le projet de loi antiterroriste du gouvernement Harper.
Plus tôt ce mois-ci, des milliers de Canadiens de partout au pays ont pris part à une journée nationale de manifestation contre le projet de loi du gouvernement fédéral sur la sécurité nationale.
Les manifestants ont exprimé leur crainte que le projet de loi C-51, la mesure législative antiterroriste, ne confère des pouvoirs d’intervention étendus aux policiers et aux organismes de sécurité, et ne crée une nouvelle infraction criminelle : la défense ou la promotion du terrorisme en général.
Le président de l’ACPPU, Robin Vose, s’est joint à la foule massée le 14 mars dernier devant le bureau du premier ministre Stephen Harper à Ottawa. Selon lui, non seulement le projet de loi bafoue-t-il les libertés civiles et autres des Canadiens, mais il aurait aussi pour effet de restreindre la liberté académique et la liberté de parole sur les campus.
« Vu le caractère ambigu et la large portée de la nouvelle infraction, les universitaires pourraient très bien être poursuivis en justice », a déclaré M. Vose. « Un professeur qui tient dans sa classe un débat sur la justification du terrorisme dans certaines circonstances, comme sous le régime de l’apartheid en Afrique du Sud, pourrait avoir des ennuis. »
Les professeurs de droit Kent Roach et Craig Forcese ont passé la mesure législative au crible et lancent une mise en garde : la portée de la nouvelle infraction criminelle n’est pas claire, et est plus large que celle d’autres crimes, comme l’encouragement au génocide ou la promotion volontaire de la haine.
« Nous ne pouvons affirmer de façon catégorique que les journalistes ou les enseignants seraient à l’abri de toute poursuite », ont-ils écrit. « Cette infraction est pour le moins ambiguë. Et nous doutons fortement qu’elle soit conforme à la Charte. »
Les deux professeurs font aussi remarquer que, contrairement à la législation sur les propos haineux, le projet de loi ne comporte pas d’exceptions à la nouvelle infraction, comme l’intérêt public ou des objectifs pédagogiques.
« Essentiellement, cela signifie que les enseignants ne pourraient faire valoir, pour se défendre, que les paroles ou les réalisations qui leur sont reprochées avaient un but éducatif légitime », de dire David Robinson, directeur général de l’ACPPU.
Il ajoute que le projet de loi C-51 élargit considérablement les pouvoirs des organismes de sécurité concernant la communication d’informations, mais ne prévoit aucun mécanisme de surveillance approprié.
« Les professeurs qui mènent des études sur des sujets controversés pourraient faire l’objet d’une surveillance et les ministères pourraient s’échanger leurs renseignements personnels à leur insu », poursuit M. Robinson. « Nous sommes vraiment préoccupés des conséquences terribles que la communication, sans contrôle, d’un large éventail d’informations aura sur la liberté académique et sur d’autres formes d’expression. »
Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Daniel Therrien, conteste le projet de loi parce qu’il met à la disposition de 17 ministères et organismes fédéraux toute information qu’un ministère pourrait détenir sur un citoyen canadien.
Fort de sa majorité, le parti conservateur a empêché le commissaire de participer aux audiences publiques que le comité de la securité publique de la Chambre des communes a tenues sur le projet de loi C-51.
D’autres détracteurs du projet de loi se sont dits très inquiets des mandats élargis dont jouiront dans les faits des institutions spécialisées dans la sécurité, comme le Service canadien du renseignement de sécurité, qui leur permettraient même de perturber des activités jugées être des « menaces envers la sécurité du Canada », bien qu’indéterminées.
« Avec le projet de loi C-51, nous sommes confrontés à un ensemble de nouvelles lois et de lois fortement remaniées en matière de sécurité nationale, des lois qui pourraient miner les droits de la personne plus insidieusement que cela n’a jamais été le cas depuis le recours à la Loi sur les mesures de guerre en octobre 1970 », avertit Alex Neve, secrétaire général d’Amnistie internationale Canada. « En autorisant des activités secrètes qui violent les droits de la personne dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, on ajoute injustice sur injustice. »
Robin Vose, de l’ACPPU, déclare qu’il est décevant de constater que le gouvernement n’a tiré aucune leçon des violations des droits de la personne survenues dans le passé pour des motifs de sécurité nationale.
« Deux enquêtes judiciaires ont démontré la complicité du Canada dans la torture de Maher Arar, d’Abdullah Almalki, d’Ahmad Abou-Elmaati et de Muayyed Nureddin », précise-t-il. « Les pouvoirs en matière de sécurité nationale doivent toujours être assortis de règles claires, de garde-fous adéquats et de mécanismes de surveillance efficaces pour éviter toute atteinte aux libertés civiles. Or, il n’y a rien de tout cela dans le projet de loi C-51. »