Austérité. Le mot de l’heure, percutant, dont la force ou l’impact ne semblent pas être sur le point de décliner. Présentée comme une stratégie efficace pour résoudre les crises économiques structurelles, l’austérité est aussi souvent invoquée à tort et à travers pour motiver les attaques sur les services publics en général, et sur l’éducation en particulier. Sous ce jour, l’austérité devient, plus qu’un simple concept économique, une arme politique.
Le discours sur l’austérité est, fondamentalement, de nature purement idéologique. Ses maîtres posent comme prémisse que « les taxes sont une mauvaise chose » (le profit personnel étant, par essence, une bonne chose, donc intouchable); par association, ils considèrent que les services publics sont également une mauvaise chose. Selon une approche rigoureusement mathématique, tout devient mesurable, la valeur étant fonction de la seule contribution au résultat financier. Lorsque des services sont jugés nécessaires, les gestionnaires ont pour directive première de veiller à leur affecter des ressources minimales. L’objectif déclaré n’est pas d’assurer les services efficacement, mais plutôt au moindre coût possible pour un État aux poches de plus en plus percées. L’efficience l’emporte alors sur l’efficacité du projet éducatif, et sur d’autres considérations comme la qualité ou l’équité.
Nous le constatons tous les jours dans nos universités et nos collèges. Il semble que nous ne puissions nous permettre d’offrir des salaires concurrentiels (du moins, à tout le monde). Ou que le financement doit être concentré dans des domaines « prioritaires » rentables, au prix du déclin et de la disparition d’autres domaines, l’importance sociale ou la valeur intellectuelle étant désormais des quantités négligeables. Selon la logique de l’austérité, on nous dit que notre survie passe par la précarisation du corps professoral, une structure de personnel à deux niveaux ou d’autres formules imaginatives pour presser les professeurs comme des citrons, « productivité » oblige, à un coût toujours plus bas. À ces « solutions » s’ajoutent les programmes accessibles à tous, les cours en ligne ouverts à tous et les cours préformatés, dont la vente permet également de maintenir les coûts à la baisse et les revenus, à la hausse — au nom de l’austérité. D’un côté, nous entendons tous ces arguments et, de l’autre, nous sommes ébahis devant les salaires de nos recteurs proaustérité, et les dollars qui sont détournés vers des activités non académiques : construction immobilière, hypertrophie des administrations, bureaucratie galopante et services de conseillers externes.
Manifestement, il y a quelque chose qui cloche. Nous avions de l’argent avant, et nous semblons en avoir encore aujourd’hui. Tout tourne supposément autour d’un objectif unique : générer encore plus d’argent dans l’avenir. Mais pas pour tout le monde, et certainement pas pour le personnel académique. Alors, que dissimulent ces appels généralisés à l’austérité?
Pour trouver un élément de réponse, il convient d’examiner les tenants et aboutissants de l’austérité et de déterminer à qui elle profite. Il est intéressant de constater que le mot austérité (issu du latin austeritas) ne signifie pas « bon marché » ou « frugal », et qu’il n’a aucune filiation avec la notion de gestion responsable ou celle de « vivre selon ses moyens ». Le dictionnaire Le Petit Robert en donne la définition suivante : « qui se montre sévère pour soi, ne s’accorde aucun luxe ou plaisir; triste et froid; sans ornement ».
Cette définition ne renvoie pas à l’économie, mais à l’esthétisme, à l’idéologie et à des valeurs. L’idée que la vie devrait être dure, amère, sévère et rigoureuse est, selon moi, la pierre angulaire de la philosophie que l’on veut nous imposer. Même en période de prospérité, objectivement parlant, l’approche de l’austérité privilégie les politiques punitives et répressives parce qu’elle repose sur une aversion fondamentale, et parfois inconsciente, pour les services mêmes qu’elle est censée gérer. Sous l’austérité, la gestion académique rejette les dimensions de démocratie, d’émancipation et de transformation inhérentes aux universités et aux collèges, et tente donc de les affaiblir. Elle s’efforce de réduire, au fil du temps, ces établissements à des prestataires d’une formation professionnelle efficace et rigoureuse, avec plans de repas alléchants et chambres dernier cri, mais sans réelle mission d’instruire.
Nous voyons donc que l’austérité n’est pas qu’une question d’économies. Il faut le dire. Certes, il se peut que l’argent se fasse rare dans certaines circonstances — mauvaise gestion, diminution des inscriptions ou compressions gouvernementales — mais il s’agit trop souvent de crises créées de toutes pièces par des choix politiques. À l’inverse, l’argent ne manque manifestement pas, du moins pour engager des façonneurs d’image chargés de dévaloriser le corps professoral, recourir aux tribunaux pour s’opposer aux syndicats et verser des salaires astronomiques aux administrateurs. Cette année, après avoir clamé pendant des mois qu’elle devait faire des compressions de toute urgence et ainsi sabrer les programmes non prioritaires, l’Université de la Saskatchewan s’est retrouvée soudainement avec un surplus de 20 millions de dollars, qu’elle a remis au gouvernement parce qu’elle « n’en avait pas besoin ». Il est clair que la plupart des demandes de compressions obéissent à des motifs comme la rigueur et le contrôle, et ne découlent certainement pas d’un besoin urgent d’économiser.
L’austérité est le prétexte pour réduire ou transformer fondamentalement des services non conformes à l’idéologie dominante. Un outil pour porter atteinte aux droits des employés d’assurer le fonctionnement démocratique de leur milieu de travail et de négocier leur rémunération. Un moyen de diminuer et d’éradiquer progressivement les services sociaux pour lesquels nous nous sommes tant battus. Quand nous nous levons pour défendre notre profession, notre milieu de travail, nos collègues et l’intégrité de l’éducation postsecondaire dans son ensemble, nous luttons aussi pour nos étudiants et nos communautés. Priver le secteur de l’éducation de ressources essentielles, ce n’est pas faire des économies, car la société est toujours perdante quand les professeurs ne reçoivent pas leur dû. Le temps est venu de mettre un terme au mensonge de l’austérité une bonne fois pour toutes.