Aujourd’hui, quiconque lutte pour la défense de l’enseignement postsecondaire semble être dans un état d’indignation quasi perpétuel. Cela est vrai pour moi, et nul doute que je l’ai laissé transparaître dans certaines de mes chroniques de la dernière année. Peut-être est-il indispensable de nourrir cet état — dans les limites de la raison — pour s’engager dans une association de personnel académique et dans l’ACPPU. Du train où vont les choses, l’indignation pourrait devenir bientôt une seconde nature pour tout le personnel académique, si ce n’est déjà fait.
Les raisons d’être en colère ne manquent assurément pas. Le climat politique et économique actuel présente au personnel des universités et des collèges des défis qui paraissent décourageants parfois, voire insurmontables, mais que nous conspuons encore et encore. Parce que si nous n’élevons pas la voix, et n’agissons pas, pour dénoncer les politiques qui menacent la survie des valeurs fondamentales de notre profession, qui le fera?
Un certain optimisme est néanmoins justifié, pour se réchauffer le coeur, malgré les embûches : tsunamis de réductions budgétaires opérées à froid, gels dans l’embauche, assauts glaçants sur la liberté académique, tentatives de régimes néolibéraux d’imposer sur les campus des conditions de route généralement périlleuses. Nous avons traversé un long et pénible hiver, ployés sous un vent d’austérité glacial (pour épuiser le filon de la métaphore), et si nous ne sommes pas encore sortis du tunnel, nous entrevoyons des signes annonciateurs d’un possible dégel. Après tout, les Canadiens ne manquent pas de résilience, et nous avons démontré dans le passé que nous pouvions vaincre la noirceur, en émerger animés d’un nouvel espoir et résolus à nous façonner un avenir meilleur.
Cette dernière année, j’ai eu l’honneur, et le grand plaisir, d’observer l’engagement et la détermination des militants canadiens du secteur académique sur plusieurs fronts. J’ai été inspiré par les mouvements d’opposition à la hiérarchisation des programmes d’études, et par les efforts patiemment déployés pour démasquer les responsables administratifs et politiques qui ont l’hypocrisie de se lamenter sans fin sur les nécessaires compressions dans les budgets de l’éducation tout en ne cessant de s’en mettre plein les poches. J’ai été impressionné par le haut niveau du discours de nos collègues, capables d’analyses objectives autant que de dénonciations passionnées pour défendre l’enseignement postsecondaire. J’ai éprouvé un sentiment de grande humilité en voyant la solidarité éclore dans tous les milieux de travail sur nos campus, le corps universitaire, les étudiants et le grand public prenant de plus en plus conscience de l’étendue exacte des pertes dont nous souffririons tous si rien n’est fait pour stopper les tendances actuelles. En fait, la pauvreté des habits neufs de l’empereur est douloureusement mise à nue, et nous sommes presque à bout de patience.
Une autre année académique tire à sa fin, et alors que nous en faisons le bilan pour planifier des changements souhaités à notre enseignement, nos projets de recherche et nos engagements en matière d’activités de service, nous ferions bien, du même coup, d’élargir notre horizon et de réfléchir à notre capacité d’apporter des améliorations à nos milieux de travail et à nos communautés en général.
Nous, les travailleurs académiques, savons parfaitement comment amener des changements positifs; nous le faisons tous les jours. C’est notre travail, que ce soit en classe, au laboratoire ou au studio, sur le terrain ou auprès des communautés, de mettre nos compétences et notre savoir au service d’enjeux importants. Voilà pourquoi nous tenons mordicus à exceller en tout temps dans notre enseignement, nos recherches, etc., même si le soutien de nos établissements nous fait trop souvent défaut et parfois même si nos employeurs font tout pour nous détourner de cette voie. Voilà pourquoi nos actions militantes sur la scène politique font réellement bouger les choses. Nous avons tendance à voter en grand nombre et nous jouissons d’un certain pouvoir d’influence. Il est de plus en plus évident que la mobilisation du personnel universitaire et collégial a un effet majeur sur le résultat des élections.
Nous vivons à une époque intéressante. La vague néodémocrate qui a déferlé sur l’Alberta nous rappelle qu’un changement même radical est possible quand les gens s’unissent et agissent de concert pour se faire entendre. La publication ce mois-ci des 94 recommandations et du sommaire du rapport final de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada montre de nouveau que l’on peut espérer des changements même lorsque le contexte ne semble pas favorable; si les pressions exercées sur les gouvernements pouvaient amener ceux-ci à mettre en oeuvre ces recommandations, un grand bout de chemin serait accompli pour corriger, au moins en partie, les terribles préjudices causés aux Autochtones par l’héritage du système colonialiste de pensionnats.
Les luttes permanentes au sujet des politiques sur l’éducation postsecondaire au Québec et ailleurs
nous ont enseigné que nous ne pouvions pas compter sur la classe politique pour régler tous nos problèmes. Mais nous ne pouvons pas non plus laisser la grande entreprise, les lobbyistes inféodés à des intérêts privés et les idéologues anti-intellectuels déterminer les orientations publiques sans rien faire. Nous savons ce que cela donne.
Nous avons donc beaucoup de pain sur la planche, et les enjeux sont importants. Cependant, les travailleurs académiques constituent une force incontournable, et nous avons prouvé que nous ne renoncions pas facilement. Dans les prochains mois, continuons le combat, tous ensemble debout, et défendons nos principes et nos valeurs haut et fort. Le temps est venu pour nous de faire bouger les choses!