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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

septembre 2015

Le milieu universitaire réclame une réforme de la politique scientifique

Il faudra plus d’une décennie pour réparer le tort que la politique du gouvernement fédéral en matière scientifique et environnementale a causé au Canada, selon l’un des plus éminents chercheurs sur l’eau douce dans le monde et des plus influents experts universitaires au pays.

« La grande majorité des scientifiques s’entend sur la nécessité de chasser du pouvoir Harper et sa clique, pour des raisons allant des coupes dans le financement de la science de l’environnement, à la destruction des bibliothèques en passant par les règles qui privent les Canadiens de l’information dont ils ont besoin pour faire des choix démocratiques éclairés, notamment en ce qui concerne les industries d’extraction et le climat », affirme le chercheur David Schindler.

Comme lui, nombre de scientifiques ont commencé à s’exprimer à ce sujet et beaucoup d’autres le feront à l’approche des élections, ajoute-t-il.

M. Schindler travaille depuis plus de 50 ans dans les secteurs scientifiques universitaire et public. Il a dirigé le programme de la région des lacs expérimentaux (RLE), un laboratoire de recherche unique sur les écosystèmes d’eau douce, avant de devenir professeur à l’Université de l’Alberta.

La RLE est un programme de renommée mondiale qui a mené à des percées scientifiques importantes, notamment à des solutions efficaces et économiques pour gérer l’impact de la pollution toxique de l’eau et pour protéger les habitats du poisson.

« Dans la RLE, on a expérimenté des méthodes simples de contrôle de l’eutrophisation et des pluies acides qui ont permis d’économiser des milliards de dollars en ressources », explique M. Schindler.

La présence, dans les lacs d’eau douce, d’une concentration excessive de phosphore issu en large partie des détergents entraîne une prolifération d’algues qui diminue la teneur en oxygène de l’eau et finit par provo­quer l’asphyxie des poissons.

Selon M. Schindler, le simple procédé d’élimination du phosphore dans les lacs, découvert dans la RLE, s’est révélé moins coûteux et plus efficace que n’étaient enclins à le croire les scientifiques il y a 50 ans.

« Grâce aux expériences réalisées dans la RLE, nous avons pratiquement assaini les Grands Lacs et de nombreux autres cours d’eau importants sur le plan économique », ajoute-t-il.

Or, bien qu’elle ait fait épargner des milliards de dollars au gouvernement fédéral et qu’elle ait amélioré l’état des eaux douces au Canada, la RLE a subi le couperet du gouvernement Harper.

De nombreux autres centres de recherche de renommée internationale ont connu le même sort, dont le Laboratoire de recherche atmosphérique en environnement polaire (PEARL).

Depuis les coupes du gouvernement fédéral, la RLE est parvenue à trouver d’autres sources de financement. Il n’en reste pas moins, selon M. Schindler, que le gouvernement fédéral a pris une décision à courte vue en abandonnant ce programme.

Il ne croit pas que ces coupes s’imposaient au nom de l’austérité économique.

« Harper et sa clique doivent regarder les deux côtés de la médaille », dit M. Schindler, pour qui le gouvernement en place n’a plus de « conservateur» que le nom, car il agit de manière fort moins responsable en matière environnementale que les anciens progressistes conservateurs.

« J’estime que la responsabilité première en matière de surveillance de l’environnement et d’information du public incombe au gouvernement fédéral, responsabilité qu’il avait toujours assumée. »

Selon M. Schindler, un système de surveillance de calibre mondial est un amalgame complexe de disciplines et de méthodes scientifi­ques en évolution constante.

« On ne peut bâtir un programme de surveillance cinquantenaire à partir d’une succession de projets de maîtrise de trois ans ou de cycles de financement à court terme », plaide-t-il. « Et il faut une transparence absolue (de la part du gouvernement). Les scientifiques devraient pouvoir faire librement et publiquement état de leurs constatations. »

Or, au Canada à l’heure actuelle, les décideurs adoptent des politi­ques qui font fi de la science et qui l’éloignent des yeux du public. Ce sont manifestement des intérêts commerciaux qui orientent la majeure partie des initiatives de re­cherche publiques.

« Il y a eu un revirement complet en matière scientifique. Nous sommes passés de la recherche mue par la curiosité et vouée à la protection de l’environnement, à une recherche qui aide l’industrie à produire de nouveaux gadgets pour hausser sa marge bénéficiaire », déclare M. Schindler. « Le gouvernement a réduit le soutien à ses propres chercheurs en science de l’environnement, ne remplace plus les scientifiques qui partent à la retraite et a cessé de financer d’importants programmes comme celui de la RLE. »

L’approche du gouvernement actuel à l’endroit de la recherche et des connaissances, que ce soit de couper le financement de centres de recherche éminemment importants comme la RLE et PEARL, de fermer les bibliothèques ministé­ri­elles et de mettre au rancart le long questionnaire de recensement ob­li­gatoire qui permettait d’obtenir des données clés, est décriée publi­quement par plusieurs groupes et individus.

Radio-Canada rapportait récemment que l’un des plus éminents neuroscientifiques au Canada quitte le pays en attribuant en partie son départ à la dévalorisation du savoir par le gouvernement fédéral.

Même s’il a reçu des subventions totalisant près de deux millions de dollars l’an dernier au Canada, le professeur Robert Brownstone estime préoccupante la tendance à favoriser la recherche axée sur des applications pratiques.

Comme de nombreux chercheurs, tant dans le secteur universitaire que le secteur public, l’absence de soutien à la recherche mue par la curiosité assombrit l’avenir de la recherche scientifique au Canada.

« Je crains que nous ne perdions notre culture du savoir et notre culture de l’importance du savoir », a confié M. Brownstone à Carol Off, coanimatrice de l’émission As it Happens à CBC.

« L’approche du gouvernement conservateur en matière de politique scientifique a échoué », affirme Sylvain Schetagne, directeur de la recherche et de l’action politique de l’ACPPU. « Nous entendons des tas d’histoires provenant des chercheurs universitaires, et les chiffres confirment leurs dires. »

« Les taux d’acceptation des demandes de subvention en recherche sont en chute libre, tout comme les investissements du secteur privé en R-D, tandis que le questionnaire facultatif de l’enquête auprès des ménages qui a remplacé le long questionnaire de recensement ne fournit aucune donnée démographique fiable et la liste est longue », ajoute M. Schetagne.

Par l’entremise de la campagne de l’ACPPU La science à bon escient, le personnel académique invitera cet automne les candidats aux prochaines élections fédérales à s’engager pour de nouvelles orientations en matière de politique scientifique au Canada.

La campagne soulève quatre principaux enjeux : la stratégie actuelle du Canada en matière de sciences et technologie ne produit pas les investissements et les emplois escomptés; aucune influence politique ou commerciale ne doit peser sur les décisions de financement; des données probantes, et non une idéologie, doivent éclairer les politi­ques; il faut en finir avec le bâillonnement des scientifiques.

« Les candidats aux prochaines élections doivent se préparer à expliquer leurs positions sur le financement de la recherche axée sur la découverte, le bâillonnement des scientifiques, la prise de décisions fondée sur des données probantes et le soutien à la R-D et à la croissance de l’emploi », conclut M. Schetagne.

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Pour de plus amples renseignements, rendez-vous à lascienceabonescient.ca.