Pour bon nombre d’entre nous, l’automne est une saison magique. La rentrée scolaire sonne de nouveaux départs, ouvre de réelles perspectives de changement et éveille les possibilités d’aller de l’avant. Vitalité et fébrilité envahissent les campus prêts aux découvertes. Professeurs, employés et étudiants reprennent contact avec des visages familiers et agrandissent leur cercle de connaissances. Les conversations intellectuelles s’animent dans le plus grand enthousiasme autour de tasses de café fumant. Dans le même temps, un souffle d’air vif et les riches nuances de couleurs dans les feuilles nous rappellent que le temps avance… que nous avons du travail pressant, bien qu’exaltant, à faire.
Dans ma chronique de l’automne dernier, j’ai évoqué les sombres changements qui étaient en marche dans le secteur de l’éducation postsecondaire. Et nous avons encaissé bien des coups durs depuis. La dangereuse vague de privatisation continue de déferler sur le milieu universitaire, avec toutes les conséquences que nous avons si invariablement fini par bien connaître et abominer : la marchandisation du savoir; la tendance à traiter les étudiants comme des consommateurs infantilisés et passifs (jouissant d’une capacité d’endettement illimitée); l’émergence d’une classe dirigeante qui prolifère d’elle-même; la disparition de la gouvernance collégiale et de l’intégrité des programmes d’études; la précarisation et la désarticulation du travail académique; les menaces à la liberté académique; la chute du financement de la recherche fondamentale; le virage vers la recherche axée sur l’industrie et prisée exclusivement pour sa rentabilité à court terme. Tous ces aspects caractéristiques, et bien d’autres, du paysage nous sont devenus tellement familiers que nous oublions parfois qu’il n’en a pas toujours été ainsi et que, plus important encore, nous n’avons pas à les accepter.
En fait, nous pouvons faire mieux. Et partout au Canada les gens commencent à exiger mieux. On croirait parfois avoir atteint un point tournant.
Nous ne pouvons plus tolérer que les étudiants s’endettent et cumulent plusieurs emplois à temps partiel, qu’ils soient confrontés à un accès de plus en plus limité à leurs professeurs, qui sont eux-mêmes trop souvent privés d’une juste rémunération, de conditions de travail de base décentes telles que la sécurité d’emploi, un espace de bureau et des ressources d’aide à la recherche. Nous rejetons l’idée selon laquelle les universités et les collèges n’existent que pour vendre des connaissances préemballées et des titres de compétence à des clients payants ou pour canaliser les fonds publics alloués à la recherche vers des projets qui profitent principalement aux sociétés privées.
Nous n’admettons pas davantage que les institutions financées par l’État devraient être dirigées comme des oligarchies opaques, par des conseils et des administrateurs qui misent davantage sur la logique d’austérité des paramètres d’activité obsolètes que sur le rendement social globalement émancipateur qui découle de la libre poursuite des études et des découvertes.
Ils sont trop nombreux les scandales impliquant des recteurs d’université surpayés qui invoquent la pauvreté pour couper sans merci dans les postes de professeur permanents. Ils sont trop nombreux les conseils d’administration qui refusent de considérer les préoccupations du personnel académique, tout en accordant une plus grande importance aux levées de fonds à court terme et au classement des établissements qu’aux valeurs fondamentales de la mission académique. Ils sont trop nombreux les cas de bâillonnement d’universitaires, tant manifestes que tacites.
Au moment où les mécanismes de consultation efficaces sont supprimés, où les pressions exercées pour produire davantage de résultats avec moins de moyens ne cessent de s’accentuer et où la transparence dans la gouvernance disparaît de façon radicale, il est difficile de croire que les personnes chargées de l’administration de nos campus considèrent véritablement comme un tout indivisible les membres du corps académique, leurs étudiants ou encore l’exercice intellectuel que représentent les études postsecondaires, sans rien qui ressemble à de la sympathie, à de la compréhension ou du respect.
Peut-être n’y a-t-il là rien d’étonnant puisque la vie universitaire et collégiale est en quelque sorte un microcosme de la société dans son ensemble. La politique publique a été ces dernières années dominée à un tel point par l’idéologie néolibérale du profit privé, pour quelques-uns, et par les plans d’austérité sous la surveillance du gestionnariat, pour les autres, qu’une logique du même ordre devait tôt ou tard s’étendre à la vie universitaire et collégiale. Nous devons être fiers d’avoir pu, pendant aussi longtemps, demeurer solidaires et garder la mainmise sur tant de bonnes choses dans la communauté académique.
D’ailleurs, non seulement persévérons-nous dans notre lutte pour améliorer notre sort, mais nous n’avons cessé à l’évidence d’alimenter notre force et notre détermination au cours des derniers mois. Les réponses positives à l’égard de la campagne La science à bon escient que l’ACPPU a reçues tant des chercheurs scientifiques que des médias et du grand public dépassent toutes les attentes. Tout le monde, semble-t-il, comprend que le bâillonnement des scientifiques et les restrictions imposées à leur capacité de travailler dans l’intérêt de la société tout entière sont de très mauvaises idées. Tout le monde sait également que les personnes qui cherchent ainsi à enfreindre la liberté académique doivent rendre compte de leurs actes.
Nous comprenons maintenant mieux que jamais que notre capacité à opérer des changements constructifs, à reprendre possession des leviers du pouvoir de ceux qui en ont fait un mauvais usage, découle de notre volonté de nous organiser et de travailler ensemble. Le taux de syndicalisation des membres du personnel académique a bondi l’an dernier en Colombie-Britannique; la collaboration entre les travailleurs du milieu académique et leurs alliés au sein des larges mouvements étudiants, ouvriers et autres progressistes n’a jamais été aussi forte; les efforts que nous déployons sont largement soutenus par une multitude de groupes et de personnes qui reconnaissent l’existence des liens entre un secteur de la recherche et de l’enseignement sain et dynamique et le bien-être de la société elle-même.
Nous savons ce que nous voulons. Et nous savons comment nous y prendre pour l’obtenir. Ne nous laissons plus jamais dire que nous n’avons pas droit à des conditions de travail décentes, à des ressources de financement suffisantes consacrées à la recherche libre, à la gouvernance collégiale ou à l’environnement global de justice sociale qui concourt à un véritable épanouissement intellectuel. Notre travail est important, et nous méritons mieux. Il est temps de reprendre possession de notre pays et de nos collèges et universités. Il est temps de rétablir la primauté des valeurs académiques sur nos campus afin de faire de l’éducation supérieure tout ce qu’elle peut et devrait être!