Le Canada n’est pas le seul pays où les universités confient de plus en plus l’enseignement magistral à des chargés de cours. La même tendance lourde se manifeste aux quatre coins de la planète : la précarisation en douce de la profession académique.
« Chez nous, 40 % des professeurs sont à contrat ou à temps partiel et ce sont des gens qu’on a peine à contacter et à mobiliser. Ils ont peur de faire du bruit et craignent que leur contrat ne soit pas renouvelé », raconte la présidente du Tertiary Education Union de la Nouvelle-Zélande, Sandra Grey.
Entre 2001 et 2011, note Mme Grey, le nombre d’emplois à temps plein dans les universités néo-zélandaises a augmenté de 11 %, alors que les emplois occasionnels ont bondi de 48 %. « C’est une tendance lourde, les budgets n’ont pas bougé et les administrateurs nous disent qu’ils n’ont pas les moyens d’offrir des jobs à temps plein. Et c’est un cercle vicieux, puisqu’on embauche les gens uniquement pour enseigner, alors qu’il faut absolument publier pour pouvoir décrocher un poste permanent. »
En Allemagne, le Gewerkschaft Erziehung und Wissenschaft (GEW) — qui compte plus de 200 000 membres, dont des enseignants des niveaux secondaires et universitaires — a décidé de prendre le taureau par les cornes. En 2010, le syndicat a adopté le Manifeste Templiner, un document formulant des demandes très précises à l’intention du gouvernement dans le but d’améliorer la situation. L’idée centrale est qu’on devrait accorder des emplois permanents à des tâches permanentes.
« Nous avons constaté que plus de 50 % des jeunes qui ont choisi une carrière académique ont un contrat de moins d’un an », explique l’ex-présidente du GEW et vice-présidente de l’Internationale de l’Éducation (Europe), Marlis Tepe. En 2001, il y avait un permanent pour quatre personnes à statut précaire. « En 2013, le ratio était de 1 pour 9. Ce n’est pas normal pour un pays aussi riche que l’Allemagne. Il fallait faire quelque chose. »
Le GEW a mené des campagnes d’information pour le grand public et fait beaucoup de lobbying auprès des politiciens. Si bien que le parlement allemand étudie présentement un projet de contrat-type, un contrat dont la durée serait plus longue et qui prévoirait un salaire plus intéressant et des congés comparables à ceux des autres travailleurs.
« Les administrateurs utilisent toutes sortes de tactiques pour ne pas embaucher des gens de façon permanente. Ils attribuent des charges de cours à des assistants, font appel à des professeurs invités. Toutes ces personnes viennent enseigner sur nos campus, mais ne sont pas visées par notre convention collective. Nous voyons aussi plusieurs chercheurs qui sont coincés dans des contrats à durée limitée souvent renouvelés à la dernière minute », ajoute la présidente du syndicat danois des professeurs d’université, Ingrid Stage.
En Irlande, le combat syndical a également permis de mieux encadrer l’octroi et les conditions des contrats des enseignants. Mais d’autres menaces planent, dont la présence de plus en plus importante du secteur privé sur les campus, la dévalorisation du métier de chercheur et la tentation de certaines universités de privatiser complètement leurs activités.
« Il faut se tenir debout et se tenir ensemble. Il faut que tout le personnel académique se serre les coudes. Il faut éviter d’accoler aux gens le terme de “contractuels.” Nous sommes tous des employés. Nous ne devons pas permettre aux administrateurs de les appeler des stagiaires, des étudiants ou je ne sais quoi d’autre », croit le secrétaire général de l’Irish Federation of University Teachers (IFUT), Mike Jennings.
Il est anormal, ajoute ce dernier, que des gens hautement qualifiés vivent dans une insécurité permanente. « On leur accorde un contrat sans garantie de renouvellement. Pour eux, ça veut dire qu’ils ont de la difficulté à obtenir un prêt bancaire ou une hypothèque pour s’acheter une maison. C’est inacceptable. »
C’est également par la voie politique que les syndicats australiens veulent changer les choses. « Lors d’une rencontre avec le ministre de l’Éducation, pour lui faire comprendre de quoi je parlais, je lui ai demandé combien son fils — qui fréquente une université prestigieuse — avait de chargés de cours. Il a répondu trois sur quatre et il a fini par avouer que cette situation était préoccupante », signale la présidente du Tertiary Education Union de l’Australie, Jeannie Rea.
Elle indique que 80 % des enseignants dans les universités et les collèges australiens sont à contrat et que la proportion est la même pour les chercheurs. « Et ce n’est pas seulement une question de financement. Ces gens-là sont difficiles à mobiliser, car ils sont souvent invisibles. Ils viennent donner leurs cours sur le campus et ils repartent. Il y a aussi de plus en plus de cours en ligne. Il y a peu de chances pour qu’ils connaissent leurs droits. C’est notre défi. On a un groupe de plus en plus nombreux qui sont à risque, mais qu’on a peine à rejoindre et à organiser. »
Pour Grahame McCulloch, lui aussi représentant du National Tertiary Education Union de l’Australie, le temps est également venu de se poser des questions fondamentales. Il explique que son syndicat a réussi à obtenir de meilleures conditions pour les contractuels en mettant de la pression sur les administrateurs des universités, mais il constate que ceux-ci trouvent d’autres façons de contourner le problème en accordant de luxuriants contrats à des professeurs invités.
« Comme dans d’autres secteurs de l’économie, on voit une stratification des travailleurs dans notre domaine. Ceux qui ont les privilèges qui viennent avec un poste de professeur permanent et les autres. Et ceux qui ont des privilèges doivent compter de plus en plus sur ceux qui sont en bas de l’échelle pour conserver leurs acquis. C’est un gros dilemme auquel nous aurons à faire face. Éthiquement et moralement, c’est corrosif de ne rien dire », raconte M. McCulloch. Il pense qu’avant longtemps, il faudra peut-être que les professeurs se fassent à l’idée d’ouvrir une autre voie vers la permanence afin que des contractuels qui enseignent depuis des années puissent, eux aussi, obtenir la sécurité d’emploi.
S’ils veulent des résultats, les professeurs doivent mettre de la pression, beaucoup de pression, croit le président de l’IFUT, Michael Delargey. Il raconte que les chercheurs affiliés à son université à Cork n’ont pas les mêmes conditions salariales et n’ont jamais bénéficié des augmentations salariales garanties par la convention collective. Mais quand fut venu le temps des compressions, leurs salaires ont été, eux aussi, amputés.
« N’oublions pas nos racines de syndicat de travailleurs. Pour faire bouger les choses, il faut parfois se lever debout et passer à l’action », fait valoir M. Delargey.