Back to top

Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

octobre 2015

La précarisation du personnel académique a des conséquences coûteuses

À l’invitation de l’ACPPU, des membres du personnel académique ont partagé leurs égoportraits à l’occasion de la Journée mondiale pour le travail décent de l’OIT, le 7 octobre.
À l’invitation de l’ACPPU, des membres du personnel académique ont partagé leurs égoportraits à l’occasion de la Journée mondiale pour le travail décent de l’OIT, le 7 octobre.
Confrontés à l’expansion continue de l’éducation postsecondaire, les administrateurs des universités et des collèges engagent de plus en plus d’employés contractuels ou temporaires pour occuper des postes d’enseignant, de chercheur en laboratoire et de bibliothécaire.

« Au Canada, plus de 30 % du personnel académique au niveau postsecondaire est embauché pour une courte durée, sans aucune sécurité d’emploi, et peine à trouver un travail décent », remarque Sylvain Schetagne, directeur de la recherche et de l’action politique à l’ACPPU.

Vais-je enseigner le prochain trimestre? Si oui, quel cours? Cette incertitude constante engendre des tensions d’ordre financier, intellectuel et émotif. L’horizon de la plupart des contractuels académiques se limite à la fin du trimestre en cours, et ils s’inquiètent continuellement du lendemain.

« L’impossibilité de planifier quoi que ce soit complique grandement la vie du personnel académique contractuel, et est une grande source de stress », déclare James Gerlach, qui enseigne à contrat à l’Université Wilfrid-Laurier depuis 2006 et préside le Comité du personnel académique contractuel de l’ACPPU. « Un professeur peut se voir attribuer six cours une année, mais seulement deux l’année suivante. On peut joindre les deux bouts en donnant six cours, mais pas deux. »

D’après un rapport publié par Centraide en 2015, les travailleurs précaires en quête de stabilité et de sécurité dans leur vie se heurtent à d’importants obstacles. La garde des enfants représente pour eux un défi de taille, tout comme les problèmes de santé et de sécurité auxquels ils font face au travail. Ils sont plus souvent victimes de discrimination fondée sur le sexe et la race, et ont moins de temps à consacrer à leur famille et à leur communauté.

Le travail non rémunéré fait aussi partie du quotidien de beaucoup de travailleurs académiques sans sécurité d’emploi. Par exemple, rares sont les contrats qui renferment des dispositions précises sur la présence au bureau, l’encadrement des étudiants ou la rédaction de lettres de recommandation, alors que des administrations peuvent s’attendre à ce que les professeurs accomplissent ces tâches, de dire M. Gerlach.

« La rémunération du personnel académique contractuel correspond à une fraction seulement de ses responsabilités », précise-t-il.

« Certes, un professeur contractuel est rétri­bué pour enseigner, mais son allocation n’englobe pas ses autres tâches — les comités, les lettres de recommandation, le suivi auprès des étudiants. Les employeurs nous renvoient la balle en nous disant de nous en tenir aux fonctions rémunérées. »

C’est toutefois une mission presque impossible. « Comment pouvons-nous refuser d’aider les étudiants hors de la salle de classe? »

Le manque de soutien à la recherche fait également mal au personnel académique contractuel. « Au niveau postsecondaire, la recherche et l’enseignement vont de pair », avance M. Gerlach.

« Les recherches sur un sujet peu défriché ou de simples lectures pour suivre l’évolution de sa discipline sont des activités savantes que nous n’avons pas le choix de faire ou non. Mais nous ne sommes pas payés pour cela. »

Dans un marché de l’emploi compétitif, les professeurs contractuels doivent pouvoir appuyer leur candidature à un poste menant à la permanence par un solide programme de recherches et de nombreuses publications. Pourtant, peu d’entre eux bénéficient de conditions de travail ou de possibilités propices à l’enrichissement de leur parcours professionnel. « C’est un cercle vicieux et les employeurs en tirent avan­tage », déclare M. Schetagne.

« Les universités, en général, se vantent de leur engagement à l’endroit de la recherche et de l’enseignement, mais omettent de récompenser le tiers de leur personnel aca­démique pour les fruits de leurs recherches », dit-il.

« Pendant ce temps, les politiciens répètent à qui mieux mieux que la recherche et l’innovation sont les moteurs du développement du Canada au plan social, culturel, environnemental et économique. Pourtant, combien de chercheurs, bardés de diplômes et hautement compétents, ne reçoivent aucun encouragement ou le soutien nécessaire dans leur travail? »

Par ailleurs, les contractuels académiques hésitent à parler de leurs difficultés, de peur d’en payer le prix. « La permanence assure la liberté académique», déclare M. Gerlach. « Le personnel acadé­mi­que contractuel jouit aussi, théo­riquement, de cette liberté. Dans la pratique, c’est une autre paire de manches, parce qu’un contractuel doit bien peser ses paroles, de crainte de voir sa source de con­trats se tarir. »

Selon lui, un professeur qui enseigne une matière controversée, ou dont la méthode s’écarte de la norme, peut ne pas se voir offrir de donner le cours la fois suivante. « L’obligation de se taire est une atteinte au droit à la liberté académique, particulièrement pour ceux et celles qui tentent d’explorer des sujets plus contestés. L’autocen­sure est la conséquence naturelle de la précarisation du travail. »

Au chapitre de la gouvernance de l’établissement, les membres du personnel académique contractuel font aussi souvent face à un choix déchirant : participer ou ne pas participer? Même lorsqu’ils se lancent à l’eau, leurs contributions peuvent être considérées comme accessoires et en décalage avec le fonctionnement de l’établissement.

« C’est une arme à double tranchant », souligne M. Gerlach. « S’abstenir de participer, c’est rater l’occasion de faire entendre sa voix et se mettre à l’écart du reste du corps professoral. »

D’après lui, c’est comme si un système de castes existait au sein du milieu académique, les contractuels étant relégués aux échelons inférieurs. « Ce fossé nuit à la collégialité et aux échanges entre les membres du personnel académique », ajoute-t-il.

Pour le directeur général de l’ACPPU David Robinson, l’exclusion du personnel contractuel des structures de gouvernance des établissements est également au détriment du personnel permanent.

« Comme les contractuels académiques ne siègent pas aux comités, les employés permanents, dont le nombre diminue sans cesse, ploient sous le poids du travail à faire », affirme-t-il.

Par ailleurs, la relation entre les contractuels académiques et les étudiants souffre du fait que les premiers sont seulement de passage et peu rémunérés. « Notre mission à l’université consiste à servir les étudiants », soutient M. Gerlach. « Nos conditions de travail les touchent aussi directement. Que répondre à ceux qui nous demandent quel cours nous donnerons l’année prochaine? »

Les étudiants font leur choix de cours « à l’aveuglette », car les noms des chargés de cours ne sont pas inscrits en regard des cours. Les chargés de cours, souvent engagés tout juste avant le début du trimestre, selon les besoins de l’établissement, préparent leurs cours en quatrième vitesse. Dans les faits, l’objectif est de devancer les étudiants d’un chapitre, déplore M. Gerlach.

« Les étudiants paient des frais de scolarité astronomiques pour une formation qui ne leur garantit pas un emploi stable », affirme-t-il. « Il est difficile de venir en aide aux étudiants entre les heures de cours, comme le veut la relation traditionnelle professeur-étudiant. »

Il explique que les étudiants ne font pas la différence entre un professeur contractuel et un professeur permanent, d’où leur frustration lorsqu’ils n’obtiennent pas le soutien demandé pour une expérience de laboratoire ou un travail.

« Les étudiants me demandent souvent s’ils peuvent travailler dans mon laboratoire », dit M. Gerlach. « J’enseigne la biologie et la chi-mie moléculaires, mais je n’ai pas de laboratoire. »

« Lever le voile sur les coulisses de la profession et sur ses disparités est un premier pas en avant », déclare M. Schetagne. « L’ACPPU incite les établissements d’enseignement et le gouvernement à agir pour améliorer les conditions de travail du personnel académique contractuel. Ce nouveau modèle d’emploi, de plus en plus répandu, étend ses tentacules dans tout le milieu académique. »

« On assiste à une progression de la mobilisation à l’égard de la précarisation du travail — au Ca­nada, aux États-Unis et ailleurs dans le monde », conclut M. Ger­lach. « Pour la première fois depuis longtemps, des discussions ont eu lieu à l’échelle nationale et internationale. Nous devons con­tinuer sur cette lancée. »

---------------------------------------------------------------
Pour appuyer l’équité d’emploi, vous êtes invités à signer une déclaration de solidarité sur le site www.semainedelequitedemploi.ca.