Gagner moins que le salaire minimum vital. Ignorer où l’on travaillera dans un mois, quelle que soit la qualité de ses services. N’exercer aucune influence sur la gestion de son milieu de travail. Accumuler les heures supplémentaires non payées, sans avoir vu encore l’ombre du contrat de l’employeur. Payer de sa poche du matériel pour ses recherches ou ses cours, et ne pas avoir en retour le moindre signe de reconnaissance de son employeur, ou si peu. Quant au soutien (…) Ne pas avoir les outils et l’encadrement de base pour donner le meilleur de soi-même. Être l’objet d’attitudes irrespectueuses et discriminatoires. Telles sont les multiples facettes de la réalité quotidienne de milliers de contractuels universitaires au Canada, et de centaines de milliers d’autres dans le monde entier.
Déjà, en 1966, l’Organisation des Nations Unies couchait pourtant les éléments fondamentaux du « travail décent » dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, à l’article 7 : des conditions de travail sécuritaires, justes et favorables; un salaire égal pour un travail égal; une rémunération suffisante pour assurer un niveau de vie adéquat; et des avantages, comme le congé parental et des congés périodiques payés. En 1999, l’Organisation internationale du travail lançait l’Agenda pour le travail décent. Cet été, à l’occasion du 7e Congrès mondial de l’Internationale de l’Éducation, l’ACPPU a participé à la rédaction et à l’adoption d’une résolution pour que le travail décent, stable et rémunéré équitablement soit un objectif prioritaire, en particulier pour les travailleurs de l’éducation. L’absence de progrès notée jusqu’à aujourd’hui dans l’atteinte de ces objectifs, voire le recul observé au coeur du secteur canadien de l’éducation — à preuve, la croissance, d’année en année, de l’embauche de professeurs contractuels contraints d’accepter un travail précaire et injustement rémunéré — devraient nous faire réfléchir.
Nous sommes tous des victimes du traitement inéquitable de travailleurs. Nous ne pouvons, simplement par souci de protéger nos intérêts ou nos chances d’avancement, fermer les yeux sur la propension de nos employeurs à bâtir leur modèle d’affaires sur l’exploitation d’une main-d’oeuvre précaire. Nous en connaissons la conséquence inévitable : un système d’éducation qui est lui-même précarisé, dans lequel le corps professoral, stressé et insatisfait, est déconnecté de son campus et de ses étudiants; un fossé qui se creuse de plus en plus entre la recherche et l’enseignement; et la gouvernance collégiale qui rétrécit comme une peau de chagrin. Pourtant, les employeurs ne s’arrêteront pas en si bon chemin tant qu’ils auront la voie libre, et tant qu’ils seront guidés par l’« austérité ».
Des initiatives concertées, collectives et fondées sur des principes sont l’unique moyen de changer cet état de fait. Nous devons reconnaître que tout travail académique devrait être un travail décent, et que c’est toute la collectivité qui y gagne quand les travailleurs sont respectés et bénéficient de la sécurité d’un emploi rémunéré à la hauteur de leurs besoins et de leur mérite. Ces principes se traduisent dans des stratégies et des revendications claires pour faire des gains à court et à long terme sur plusieurs fronts. Prenons exemple sur celles qui ont été énoncées dans le Manifeste Templiner, publié à l’issue d’une conférence tenue en 2010 à l’initiative du syndicat allemand de l’éducation et de la science, où les postdoctorants, les universitaires en début de carrière et les professeurs contractuels en particulier ont fait des avancées importantes.
Tous ensemble, nous pouvons lutter pour le resserrement des lois du travail, de manière à contraindre les employeurs à abandonner leurs pratiques abusives et inéquitables. Tous ensemble, nous pouvons réclamer à nos employeurs qu’ils cessent de recourir à l’excès à des contractuels, et que lorsqu’ils en embauchent, ils leur accordent une rémunération juste (comprenant des avantages sociaux, et un soutien approprié pour leurs activités) selon un modèle proportionnel. Tous ensemble, nous pouvons transformer nos environnements de travail en des lieux plus épanouissants, sécuritaires, sains et équitables. Tous ensemble, nous pouvons bâtir un milieu académique, et un monde, où l’accès de tous au travail décent est, plus qu’un principe, une réalité courante.