Santé Canada interdit à Navindra Persaud de dire pourquoi il ne prescrit pas un antinauséeux pour femmes enceintes
Navindra Persaud n’a jamais craint de défendre ses convictions dans quelque domaine que ce soit, mais surtout lorsqu’il est question d’éthique dans l’exercice de la médecine.
En 2004, jeune étudiant en deuxième année de médecine à l’Université de Toronto, il dénonça le contenu discutable d’un cours obligatoire sur la gestion de la douleur.
La situation était la suivante : une série d’exposés était parrainée par une société pharmaceutique qui fabriquait des médicaments opioïdes (des médicaments antidouleur sur ordonnance, comme Oxycontin ou Vicodin). L’entreprise avait aussi financé la publication du manuel pour le cours. Enfin, elle avait déjà engagé le chargé de cours comme consultant.
Préoccupé par la possibilité que les risques liés à la prise de médicaments antidouleur soient atténués, M. Persaud porta plainte auprès des hauts dirigeants de la faculté de médecine.
« On a fini par retirer ces exposés du programme (en 2010) », déclare M. Persaud qui, aujourd’hui, pratique la médecine familiale à l’hôpital St. Michael’s et est professeur adjoint à l’Université de Toronto.
Si, dans ce cas précis, les conflits d’intérêts présumés ont été réglés, les entreprises exerceraient encore, selon lui, une influence indue dans les écoles de médecine canadiennes.
Il affirme avoir été consulté par des collègues d’autres universités, qui s’acharnent à trouver la meilleure façon de gérer la participation de l’industrie pharmaceutique dans l’enseignement de la médecine.
« Nous devrions d’abord nous demander pourquoi nous avons des universités financées par les pouvoirs publics. Et ensuite, aligner nos politiques, notre culture et nos actions sur la réponse à cette question », ajoute-t-il.
Des années plus tard, M. Persaud a relaté la situation vécue à l’Université de Toronto dans la revue Journal of Medical Ethics. Il y a fait valoir la nécessité de mettre en place de meilleurs processus pour prévenir, reconnaître et régler les conflits d’intérêts apparents qui découlent des interactions entre l’industrie pharmaceutique et les écoles de médecine en ce qui concerne les programmes d’études de premier cycle.
Étudiant, il dénonçait l’influence d’une pharmaceutique sur le contenu d’un cours. Aujourd’hui médecin praticien, il s’intéresse à l’influence des géants pharmaceutiques sur les instances de réglementation fédérales.
Il avance qu’il lui a fallu quatre ans d’efforts pour que Santé Canada consente à lui mettre les données des essais cliniques sur la prise de comprimés Diclectin contre les nausées et les vomissements au début de la grossesse.
« Je voulais savoir si ce médicament était primo, sans danger pour les femmes enceintes, secundo, efficace contre les nausées et les vomissements pendant la grossesse ».
Ayant présenté une demande d’accès à l’information en 2011, M. Persaud a d’abord reçu une volumineuse documentation très caviardée. Santé Canada a refusé, en particulier, de lui communiquer les données sur les effets secondaires du médicament.
Plus tôt cette année, il a récidivé, mais en présentant cette fois une demande en vertu de la nouvelle Loi visant à protéger les Canadiens contre les drogues dangereuses.
En septembre, Santé Canada lui a finalement communiqué les documents, en l’obligeant toutefois à signer une entente de confidentialité en vertu de laquelle il devait s’abstenir de parler des données ou d’y faire référence en public, sous peine d’être actionné.
En se fondant sur les données examinées, M. Persaud déclare ne pas croire en l’efficacité du Diclectin. Privé de sa liberté de parole, il ne peut expliquer pourquoi.
« J’ai dû signer une entente de confidentialité très rigoureuse, qui m’empêche de faire part de ce que j’ai découvert », déclare M. Persaud. « Cela complique beaucoup mes recherches. »
Il tente de faire modifier l’entente pour pouvoir publier ses constatations dans une revue médicale. Ce ne peut être une revue à comité de lecture, parce qu’il ne peut soumettre ses analyses des données.
Dans un article publié le mois dernier dans la revue Canadian Medical Association Journal et dont il est le coauteur, M. Persaud demande aux organismes de réglementation publics, comme Santé Canada et la Food and Drug Administration aux États-Unis, de rendre publiques les données des essais cliniques.
Il soutient que Santé Canada persiste à refuser de communiquer ces informations, même si cela ne contrevient à aucune loi du Canada, voire à aucun traité international.
Ce refus, remarque-t-il, tient souvent à la volonté de protéger les « informations commerciales confidentielles » des sociétés pharmaceutiques.
D’après M. Persaud, le fait de soustraire au regard du public les résultats des essais cliniques amène des comportements contraires à l’éthique de la recherche. Les conclusions des chercheurs peuvent être faussées, car ils n’ont pu consulter librement les données, soutient-il. Elles peuvent exagérer l’efficacité d’un médicament et en atténuer les effets secondaires.
« La suppression des données des essais cliniques est un gaspillage d’efforts, mais peut aussi exposer les patients à des traitements inutiles ou inefficaces », a écrit M. Persaud.
D’autres pays réclament déjà une plus grande transparence à l’égard des essais de médicaments. L’Agence européenne des médicaments, l’organisme de réglementation européen, vient de revoir ses dispositions sur la communication des données pour permettre à de tierces parties d’examiner et de vérifier les données, et même de contester les conclusions.
M. Persaud multiplie les pressions pour que les autorités réglementaires canadiennes lui emboîtent le pas.
« Je veux que les gens disposent d’informations exactes, complètes et équilibrées sur les médicaments », dit-il.
Va-t-il continuer de prescrire le Diclectin à ses patientes?
La réponse fuse : « Non. »
Pourquoi? Il n’est pas libre d’en parler.