L'austérité budgétaire et le néolibéralisme ont conduit les universités et les collèges publics canadiens à se transformer progressivement en institutions hybrides, c’est-à-dire tributaires d’un financement à la fois public et privé. Il y a de plus en plus urgence à reconnaître les contradictions inhérentes à cette situation, et à y réagir.
La recherche académique menée dans nos établissements d’enseignement financés par l’État sert l’intérêt public, car elle contribue à l’avancement du savoir pris dans son sens large. C’est ce qui la rend unique : libérés de l’obligation de se plier aux diktats d’une entreprise ou à une directive gouvernementale, les chercheurs académiques s’aventurent dans toutes sortes de directions, examinant tour à tour des questions fondamentales ou des idées hétérodoxes selon un échéancier qui ne permet pas de faire fructifier rapidement le potentiel commercial de produits. De plus, les chercheurs académiques indépendants découvrent parfois des vérités qui déplaisent souverainement au secteur privé ou à la classe politique, mais dont il faut quand même prendre acte. Notre prospérité, notre santé et le bien-être des générations futures sont étroitement liés à ce genre de recherches.
Lorsque les ressources financières publiques diminuent, voire se tarissent, rendant problématique la poursuite de ces travaux si essentiels, il est extrêmement tentant de se tourner vers d’autres bailleurs de fonds. Ce n’est donc pas d’hier que les chercheurs académiques sentent la pression de s’associer à l’entreprise privée. Avec le temps, ces partenariats sont devenus un pilier des plans d’affaires de bien des universités et collèges. Et quand les pouvoirs publics se désengagent de leur responsabilité de soutenir l’éducation postsecondaire, les liens de dépendance par rapport au financement privé de la recherche ne peuvent que se resserrer. Malheureusement, les partenariats public-privé pour la recherche font aussi craindre les conflits d’intérêts.
Les investisseurs privés qui soutiennent des projets de recherche académique sur les campus devraient comprendre qu’ils ne peuvent simplement acheter l’accès aux laboratoires et au personnel subventionnés par l’État. Leur aide financière leur permet plutôt d’être en relation avec des établissements d’enseignement soucieux de conserver leur indépendance dans l’intégralité de leur quête intellectuelle au prix de leur crédibilité. Les atteintes à la liberté académique, que ce soit en restreignant la publication des conclusions par la voie d’ententes de confidentialité, en encadrant indûment l’orientation des nouvelles recherches, ou encore en menaçant de sanctions les chercheurs qui ont le malheur de tirer des conclusions indésirables, nuisent d’abord aux chercheurs, mais finissent aussi par miner l’intégrité de la recherche académique et par desservir les intérêts de la société entière.
En ce moment, la survie des universités et des collèges peut passer par le privé. Et les collaborations ainsi financées peuvent même parfois aiguillonner positivement l’innovation. Mais pour cela, il est essentiel que les partenariats soient régis par des accords clairs, transparents et exécutoires qui protègent les principes de la liberté académique et de l’autonomie de l’établissement. Ces accords sont les seuls freins possibles à la tendance naturelle des bailleurs de fonds de vouloir influencer les résultats des recherches que, dans leur esprit, ils ont payées de leur poche. Les administrations universitaires et collégiales doivent empêcher un tel dérapage, et comprendre qu’aucun investissement, si grand soit-il, ne justifiera jamais qu’étant au service du public, elles ébranlent sa confiance.
Les partenariats qui trahissent cette confiance, comportent un renoncement à la liberté académique ou manquent de transparence n’ont simplement pas lieu d’être dans l’espace académique.