Jennifer Berdahl, professeure à l’École de commerce Sauder, soutient que le président du Bureau des gouverneurs et la direction de l’UBC ont porté atteinte à sa liberté académique après qu’elle a publié sur son blogue un billet soulevant des questions sur le leadership et la culture organisationnelle de l’université.
Ententes secrètes, généreux pots-de-vin, démissions mystérieuses, ordonnances de non-divulgation, dissimulations.
Tous les ingrédients d’allégations pesant sur des universités et des collèges canadiens éclaboussés par des scandales qui, selon certains observateurs, montrent à quel point les établissements sont gérés comme des sociétés privées.
« Partout au pays, le secret imprègne de plus en plus la gestion de nos établissements et les conseils de gouvernance sont plus représentatifs du monde des affaires que de la collectivité qu’ils sont censés desservir », dit Robin Vose, président de l’ACPPU.
M. Vose signale qu’avant 1996, le milieu des affaires était peu présent au sein des conseils des universités et des collèges. Après les coupes radicales du gouvernement libéral de Jean Chrétien dans les transferts sociaux et en santé aux provinces, toutefois, les subventions de fonctionnement aux établissements ont décliné.
Les subventions gouvernementales représentaient jusqu’à 80 % du budget de fonctionnement des universités en 1990, tandis qu’en 2012, cette proportion était passée à moins de 55 %. Pour combler le manque à gagner, les universités ont inévitablement ouvert leurs portes aux fonds privés.
Alors que le secteur privé s’immisçait de plus en plus dans leurs affaires au fil des années 1990, les universités et collèges confiaient à ses représentants des fonctions au sein de leurs conseils de gouvernance, équipes de recherche et administration.
« Les gens d’affaires offraient des partenariats avantageux financièrement qui étaient cependant assortis des valeurs du secteur privé incompatibles avec les principes de gouvernance démocratique et de liberté académique », a ajouté M. Vose. « Et c’est précisément dans ce cadre que s’insèrent certaines des grandes controverses de l’heure. »
L’Université de la Saskatchewan a fait les manchettes l’an dernier quand elle a démis le professeur titulaire Robert Buckingham de ses fonctions de doyen de l’École de santé publique après qu’il s’est prononcé publiquement contre son plan de restructuration. Le tollé général provoqué par cette décision a conduit à sa réintégration, tandis que la rectrice était congédiée sans ménagement.
Plus récemment, la démission soudaine du recteur de l’Université de la Colombie-Britannique, Arvind Gupta, a déclenché une série d’événements qui ont soulevé des questions relativement à la gouvernance et à la liberté académique.
Jennifer Berdahl, professeure en études sur le leadership, le genre et la diversité à l’École de commerce Sauder, a reçu un appel de John Montalbano, président du Bureau des gouverneurs de l’UBC, après avoir publié sur son blogue un article sur le départ inexpliqué du recteur Gupta.
Elle se demandait notamment s’il était parti parce qu’il « avait perdu un concours de masculinité au sein de l’équipe de direction de l’UBC, comme c’est le cas pour la plupart des femmes et des minorités visibles dans les établissements dominés par les hommes blancs ».
M. Montalbano lui a dit que son blogue entachait la réputation du Conseil, soulevait des questions sur sa crédibilité académique et mettait potentiellement en question le financement que la Banque Royale du Canada lui accorde. M. Montalbano est vice-président du conseil de RBC Gestion de patrimoine. En 2013, il créait la chaire d’études dont Mme Berdahl est titulaire.
Mme Berdahl, forte d’une carrière universitaire dans plusieurs facultés de commerce, a été embauchée comme première titulaire de la chaire Montalbano en 2014.
Elle a refusé de retirer son billet de blogue et indique qu’on l’a exhortée à ne plus commenter l’affaire.
« Les questions que j’ai soulevées sur la culture organisationnelle, la diversité et le leadership sont directement liées à mon champ d’études, et mon mandat est d’aider les organisations à faire des progrès en matière de genre et de diversité au sein de leur direction. Or, jamais dans ma carrière n’ai-je subi autant de pression de la part d’un établissement pour que je me taise », a déclaré Mme Berdahl.
« On m’a sommée de m’abstenir de parler aux médias la semaine qui a suivi la publication de mon billet et d’aborder le sujet durant l’enquête lancée par l’association du personnel académique et la direction de l’UBC sur des allégations d’atteinte à ma liberté académique. Je me suis donc retrouvée muselée, tandis que d’autres membres de l’université écrivaient des articles d’opinion critiques envers moi et mon travail. »
Or, « en me demandant de garder le silence pendant que d’autres pouvaient s’exprimer, l’université minait de nouveau ma liberté académique », a ajouté Mme Berdahl.
Selon le rapport de l’enquête rendu public en octobre, « l’UBC n’a pas assumé sa responsabilité de protéger et de défendre la liberté académique de la professeure Berdahl ».
Le rapport d’enquête conclut également que l’appel de M. Montalbano à Mme Berdahl était « sans précédent et malavisé » et que lui et les autres membres de l’administration de l’université auraient dû faire preuve d’un meilleur jugement et agir « d’une manière plus conforme à l’obligation faite à l’UBC de protéger la liberté académique ».
En réponse, M. Montalbano a démissionné de son poste au conseil et l’ACPPU exige des excuses officielles de l’UBC à l’endroit de Mme Berdahl.
Selon M. Vose, les affaires mettant en cause l’Université de la Saskatchewan et l’UBC montrent que la culture de conformité aux décisions de la direction qui prévaut dans le secteur privé est contraire aux principes de la gouvernance collégiale et de la liberté académique dans les établissements postsecondaires.
« Ces principes n’existent pas que pour la forme. Les universités et collèges doivent faire en sorte qu’ils se traduisent dans leurs activités et fonctionnement quotidiens », conclut-il.