L'élection d’un gouvernement fédéral n’est pas toujours une occasion de réjouissance pour la communauté académique canadienne. Il faut dire aussi que le vote populaire sanctionne rarement des renversements majeurs qui répondent directement aux préoccupations des travailleurs académiques. Seul le temps dira si les engagements de révoquer les projets de loi C-51, C-377 et C-525, de redonner la parole aux scientifiques et de rétablir le formulaire de recensement détaillé seront honorés, et dans quelle mesure ils le seront. Déjà, la création de nouveaux ministères des sciences et du changement climatique est l’indication d’un profond changement d’attitude au sein du nouveau gouvernement à l’égard de l’importance de l’intégrité de la recherche et de l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes. Un changement bienvenu.
Il y a, effectivement, lieu de se réjouir. Et de réfléchir à la manière dont nous pouvons mettre à profit notre regain collectif d’optimisme et d’énergie pour améliorer le monde qui nous entoure. Le champ des possibilités sur le plan politique s’est soudainement élargi; nous ne pouvons nous permettre de passer notre chemin.
Le personnel académique — et particulièrement celui d’établissements d’enseignement supérieur public — sait depuis longtemps que l’intérêt public est au coeur de son travail. Nous comprenons que des enjeux fondamentaux comme le changement climatique menacent aujourd’hui le bien-être de la planète. Nous savons aussi qu’ensemble, nous constituons une force unique capable de changer les choses, que ce soit à titre de chercheurs et de professeurs spécialisés ou de citoyens militants bien informés. Nous avons la responsabilité d’utiliser cette force judicieusement, partout où nous le pouvons, y compris dans nos milieux de travail et nos associations professionnelles.
Après tout, les universités et les collèges sont eux-mêmes des foyers importants de consommation et de production de déchets. Par leurs empreintes carbone démesurées, ils contribuent inévitablement au changement climatique. Ils sont également des acteurs économiques influents, car leurs décisions en matière d’investissement ont des conséquences qui sont tout, sauf négligeables. Avec une superficie souvent comparable à celle d’une petite ou d’une grande ville, et des budgets de plusieurs milliards de dollars, les universités et les collèges peuvent donner l’exemple à d’autres organisations et ressorts. De même, les syndicats académiques et les organismes professionnels exercent une influence concrète et symbolique, dont la portée dépasse largement le milieu de l’éducation postsecondaire. Malgré cela, les « plans verts » adoptés jusqu’à présent par de nombreux campus ont été, au mieux, superficiels, et les associations de personnel académique se contentent trop souvent de simplement suivre les initiatives commandées par la direction.
Dans le passé, nous avons fréquemment délégué aux législateurs ou aux gestionnaires la responsabilité de piloter le règlement de dossiers complexes, et cela ne nous a guère servi. De même, l’adhésion passive n’est assurément pas la voie à suivre pour toute personne qui veut avoir son mot à dire dans la détermination de ses droits et de ses conditions de travail. Les syndicats et autres regroupements de travailleurs du monde entier ont donc commencé à entreprendre, seuls ou avec des partenaires animés des mêmes idées, des actions collectives pour sensibiliser davantage leurs milieux de travail et la communauté en général aux questions environnementales. Des postes, des comités et des réseaux ont été créés pour explorer et communiquer les meilleures pratiques. Des mesures concrètes sont prises pour réduire les émissions de combustible fossile et d’autres types de déchets. Des déclarations politiques ont fait prendre conscience aux employeurs, aux investisseurs et aux législateurs publics de la réalité de l’appui des travailleurs à la prise de responsabilité environnementale.
L’ACPPU et ses associations membres peuvent s’investir plus à fond dans des actions de ce genre. La détérioration de l’environnement nous touche tous, au travail comme à la maison, et c’est à nous de réagir. À l’évidence, de nombreuses autres questions méritent notre attention immédiate et une intervention tout aussi urgente, mais il faut éviter de se concentrer sur une question au détriment des autres. Il s’agit ici de reconnaître notre droit, notre capacité et notre devoir en tant que groupe organisé de travailleurs académiques de nous engager politiquement et de faire entendre notre voix à l’égard des questions qui nous interpellent le plus aujourd’hui.
En ne soufflant pas mot, en ayant une conception étriquée de la sphère d’action de nos associations, nous raterions des occasions importantes et nous risquerions de perdre notre pertinence à une époque qui exige, en fait, que nous prenions la parole. Surtout, dans ce climat d’optimisme prudent, il est indispensable que nous assumions pleinement notre rôle d’intermédiaire, notre indépendance et notre capacité d’agir collectivement. Nous le devons à nous-mêmes, à notre profession, à la société et à la planète.