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Alors que la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques réunira ce mois-ci à Paris des chefs d’État et des scientifiques du monde entier, les établissements d’enseignement postsecondaire au Canada manifestent leur volonté d’en faire plus dans ce domaine en mettant de l’avant leurs programmes de protection de l’environnement et leurs initiatives de réduction des émissions. Compostage, élimination des bouteilles en plastique et des tasses en papier, ruches et éoliennes, ils entendent bien participer à l’effort national de lutte contre le changement climatique.
Forts de l’appui de leurs communautés à leurs objectifs de protection de l’environnement grâce à des choix écologiques, un grand nombre de collèges et d’universités au pays prennent le virage de la durabilité en matière d’alimentation et d’énergie. Déjà en 2014, 110 des 220 établissements agréés avaient adopté des politiques de durabilité. Environ la moitié a également souscrit aux engagements nationaux ou internationaux à cet égard.
Aujourd’hui, 26 campus ont banni les bouteilles d’eau. L’Université de la Colombie-Britannique a relevé avec succès le défi du zéro déchet. L’Université de Winnipeg a dit non aux tasses en papier. Concordia a entrepris de s’affranchir des combustibles fossiles. L’Université du Cap-Breton fait le pari de l’énergie éolienne. Et sur les campus d’un bout à l’autre du pays, les jardins poussent sur le toit des édifices, et l’utilisation de toilettes à faible débit et de l’éclairage écoénergétique progresse sûrement.
« Il n’y a pas de limites aux initiatives qui rassemblent des groupes et des particuliers de tous les horizons pour aborder la durabilité de l’environnement sous des angles qui concordent avec divers objectifs progressistes », déclare Andrew Bieler, Ph. D., chercheur auprès du Sustainability and Education Policy Network (SEPN). Le SEPN est un réseau qui évalue la contribution à la durabilité des plans stratégiques et autres initiatives des établissements d’enseignement postsecondaire.
Pour intégrer la durabilité dans leurs programmes d’études et dans leur culture, certains établissements ont préféré l’approche globale à la politique des petits pas. D’après le SEPN, ceux qui se situent dans des villes plus importantes, et en Colombie-Britannique et au Québec, sont les plus empressés à mettre en oeuvre des projets de durabilité.
La renommée verte de l’Université du Nord de la Colombie-Britannique (UNBC) dépasse les frontières. Celle-ci en a même fait sa marque de commerce, se présentant comme « l’université verte du Canada ».
« L’Université du Nord de la Colombie-Britannique aspire à être un laboratoire vivant de recherche, d’apprentissage et d’expérimentation », affirme Kyrke Gaudreau, responsable du programme de durabilité. « Jusqu’à présent, nos résultats dépassent nos espérances. »
L’usine de bioénergie du campus de Prince George transforme, par gazéification, des tombées de sciage provenant de la production de bois d’oeuvre en chaleur utilisable sous forme d’eau chaude. Cette opération a éliminé approximativement 85 % des combustibles fossiles qui étaient utilisés pour chauffer les édifices sur le campus. L’Université a ensuite lancé un projet de démonstration de communauté durable dans le but d’augmenter sa production d’énergie renouvelable, de réduire ses émissions de gaz à effet de serre et de diminuer le coût de son approvisionnement en combustibles.
Mais l’UNBC n’est pas célèbre uniquement en raison de sa promotion de l’énergie renouvelable. Championne de l’alimentation durable, elle est l’hôte d’un marché fermier sur le campus, vise à offrir plus d’aliments durables locaux au personnel et aux étudiants, maintient des collaborations avec les Premières Nations, et pratique le jardinage biologique et le compostage. Ces deux activités concernent directement les services d’alimentation, l’entretien des terrains, les résidences et la communauté universitaire.
Selon M. Gaudreau, l’Université planche actuellement sur un nouveau programme académique qui accordera une place centrale à la durabilité, « comme en témoigneront les pôles de notre enseignement : l’environnement et les ressources naturelles; les questions autochtones; la durabilité et le développement des communautés nordiques; et la santé et la qualité de la vie ».
Le SEPN s’est rendu compte que la durabilité était de plus en plus un argument de vente auprès des étudiants, du corps professoral et des bailleurs de fonds. Il met toutefois en garde contre l’écoblanchiment institutionnel, cette pratique qui consiste à se doter de politiques sur la durabilité et à se lancer dans des initiatives prestigieuses comme la signature de déclarations. Des solutions faciles qui montrent, en apparence, que l’on protège l’environnement sans toutefois rien changer à ses priorités, dictées par des considérations économiques.
« L’écoblanchiment peut se faire ouvertement ou subtilement », affirme M. Bieler. « Dans le premier cas, on a tout de suite à l’esprit l’exemple de l’Université de Calgary et de son centre de recherche sur le développement durable, financé auparavant par Enbridge. Dans le second cas, un établissement inscrit dans ses plans stratégiques des définitions vagues de la durabilité qui n’enferment pas la notion dans un cadre rigide pour faire plaisir aux parties prenantes, mais qui sont centrées sur les activités financières et opérationnelles. »
Michael Waglay, coordonnateur du projet Beyond Campus Food Banks de l’organisme Meal Exchange, travaille également à établir un lien entre pratiques durables et enjeux sociaux et environnementaux sur les campus.
« Meal Exchange permet aux étudiants de prendre parti pour l’éthique alimentaire et la durabilité », soutient-il. « L’alimentation est un sujet très rassembleur. Si les étudiants se préoccupent de questions d’alimentation, nous les encourageons à s’investir dans des initiatives justes et durables. »
Il fait observer qu’au Canada, la plupart des universités et des collèges ont maintenant une banque alimentaire, et que les étudiants forment l’un des groupes utilisateurs les plus en croissance. Il avance que les établissements doivent réagir à la crise alimentaire, notamment en cessant de tirer un profit excessif de la vente d’aliments.
« Les administrateurs doivent rendre l’éducation plus abordable, premièrement en baissant les frais de scolarité, mais ensuite en appuyant l’approvisionnement local en nourriture et en revoyant leurs services d’alimentation. »
Meal Exchange peut s’enorgueillir d’un succès : l’organisme a trouvé des fonds pour installer une serre à l’Université Memorial, à Terre-Neuve, une province dont le potentiel agricole est méconnu. L’Université Memorial gère aussi un jardin communautaire.
M. Waglay dit que les jardins sur les campus sont un bon point de départ pour parler de changement climatique et d’accès aux produits alimentaires locaux. « Plus les campus favorisent l’achat local, plus ils réduisent les émissions dues au transport et plus ils prônent l’accès à des aliments sains. »
D’autres campus font la promotion de l’agriculture urbaine et soutiennent l’accès à des aliments nutritifs. La volonté de l’Université Ryerson de tenter l’expérience d’aménager une ferme sur ses toits a porté ses fruits … et ses légumes, avec un rendement total de 8 000 livres l’été dernier. En 2013, cédant aux pressions des étudiants et des professeurs qui réclamaient une autre stratégie alimentaire, l’Université a engagé un chef qui a créé la marque « Ryerson Eats », reflet de la priorité accordée aux produits locaux et aux plats cuisinés sur place.
« Toutes ces initiatives vont dans la bonne direction, mais la volonté politique, terreau des changements systémiques, manque encore de vigueur », conclut M. Waglay.