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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

décembre 2015

La mobilisation contre les combustibles fossiles fait tache d’huile sur les campus canadiens

Trois ans seulement se sont écoulés depuis que ce dessein ambitieux, ce voeu pieux, a été formé : convaincre les investisseurs du monde entier de cesser de financer l’industrie des combustibles fossiles. Aujourd’hui, ce mouvement a pris une telle ampleur que bien malin qui pourrait prévoir où il finira sa course. À preuve, il s’est maintenant transporté dans les universités et les collèges canadiens.

Les données compilées par la firme américaine Arabella Advisors montrent qu’à ce jour, plus de 400 institutions et 2 000 particuliers répartis dans 43 pays se sont engagés à vendre leurs placements évalués à 2,6 mille milliards de dollars dans les combustibles fossiles.

En annonçant, en 2014, qu’il se départirait de ses actifs fossiles, le Rockefeller Brothers Fund a été un fer de lance du mouvement de désinvestissement. D’autres acteurs importants lui ont vite emboîté le pas. La Bank of America, par exemple, a tourné le dos à l’exploitation houillère et s’est engagée à investir 125 milliards de dollars d’ici 2025 dans des prêts à des entreprises à faible empreinte carbone.

L’auteur et environnementaliste Bill McKibben a été l’instigateur du mouvement, qui s’est ensuite propagé grâce à l’action de 350.org, un organisme voué à la protection de l’environnement à l’échelle mondiale fondé par McKibben. Ainsi, en 2012, cet organisme a décidé de s’en prendre aux combustibles fossiles en lançant une campagne de désinvestissement. Le mouvement a gagné les campus américains, où des clubs d’étudiants ralliés à la cause ont mis au défi les administrations universitaires et collégiales de s’attaquer concrètement à la crise climatique en retirant des portefeuilles de leurs fondations les titres des entreprises engagées dans les énergies fossiles.

La convergence des arguments éthiques soulevés par les étudiants et de la prise de conscience grandissante des risques climatiques et financiers associés à l’investissement dans les combustibles fossiles a été un formidable accélérateur du mouvement.

Un groupe composé d’organisations confessionnelles, d’administrations municipales et de gouvernements d’État, d’ONG, de fondations, de caisses de retraite et d’établissements de santé, prend de plus en plus forme à l’échelle internationale et a pour objectif d’investir en fonction de ses valeurs. De là à adhérer au mouvement de désinvestissement il n’y avait qu’un pas qu’il a allégrement franchi.

« Le mouvement de désinvestissement que nous connaissons aujourd’hui est l’oeuvre des étudiants et de l’équipe de 350.org », a déclaré Hyewon Kong, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille aux bureaux de Toronto de Placements AGF Inc. « Ces personnes ont été les premières à parler des combustibles fossiles et ont attiré l’attention des médias et des investisseurs sur cet enjeu. »

Les recherches sur les changements climatiques et les innovations visant à les contrer influencent le comportement des investisseurs. « Les placements dans les combustibles fossiles présentent maintenant un risque financier », souligne Mme Kong. Les participations détenues dans cette industrie pourraient devenir des actifs délaissés dans un monde « sous contrainte carbone ».

Dans un rapport publié en 2013, la Carbon Tracker Initiative a révélé qu’il sera techniquement impossible de brûler jusqu’à 60 à 80 % des réserves énergétiques détenues par des sociétés cotées si le réchauffement de la planète ne dépasse pas 2°C.

Des analyses financières de sources imprévues en tiennent de plus en plus compte dans l’évaluation des titres associés aux combustibles fossiles et du risque qu’ils posent pour les portefeuilles. Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre et président du Conseil de stabilité financière — un organisme qui coordonne l’action réglementaire des pays membres du Groupe des 20 (G20) —, a mis les investisseurs en garde cet automne contre le caractère de plus en plus risqué des investissements dans le secteur pétrolier et gazier.

Le mouvement de désinvestissement des combustibles fossiles poursuit son expansion sur les campus internationaux. D’après Arabella Advisors, 40 établissements d’enseignement détenant des actifs de 130 milliards de dollars se sont engagés dans cette voie. Le Collège Unity du Maine a fait oeuvre de pionnier en devenant en 2012 le premier établissement d’enseignement supérieur aux États-Unis à exclure les combustibles fossiles. Deux ans plus tard, l’Université Stanford s’est engagée à sortir du secteur du charbon et cette année, l’Université de Syracuse dans l’État de New York a annoncé qu’elle officialisait un engagement à « ne pas investir directement dans les combustibles fossiles ».

Au Canada, le bilan des campagnes de désinvestissement est plus mitigé. L’année dernière, l’Université Concordia a pris les devants en annonçant son intention de vendre 5 des 30 millions de dollars de son fonds de dotation. Les militants du désinvestissement à cette université ont qualifié ce geste « d’opération de relations publiques », vu la somme modeste en cause.

« Les universités devraient donner l’exemple et investir ailleurs que dans les combustibles fossiles », a affirmé Kiki Wood, directrice nationale de la Canadian Youth Climate Coalition. « J’ai très bon espoir que les choses vont commencer à bouger. Même les plus grands établissements se sont ralliés au mouvement et les universités ont au moins pris con­science du fait que le désinvestissement est vraiment une solution aux répercussions des changements climatiques. »

Les conseils d’administration des universités McGill et Dalhousie sont soumis à de fortes pressions pour prendre le train en marche. Des militants font aussi activement campagne à l’Université de la Colombie-Britannique, l’Université Simon-Fraser et l’Université de Toronto.

De son quartier général à l’Université de la Saskatchewan, le Sustainability and Education Policy Network (SEPN) a commencé à calculer la part des investissements dans les énergies fossiles dans les dotations de 33 universités et collèges au Canada où la campagne Fossil Free est en cours.

Bien qu’il n’ait pas accès à la composition de la plupart des porte-feuilles pour des raisons de confidentialité, le SEPN estime cette part à des centaines de millions de dollars au Canada.

« Aujourd’hui, les conseils d’administration nous disent enfin qu’ils comprennent qu’il faut agir », affirme Naomi Maina, une chercheuse du SEPN. « Ils savent qu’ils doivent désinvestir, mais résistent encore beaucoup. Certains établissements rejettent le blâme sur de tierces parties sous prétexte qu’ils n’achètent pas les titres eux-mêmes. »

À l’Université de Victoria, le personnel académique a fait front commun avec les étudiants pour exhorter l’administration à se départir des actifs fossiles de 21 millions de dollars détenus par la fondation. Il pousse aussi l’administration à liquider les titres de pétrolières comme Enbridge et Suncor compris dans le portefeuille de la caisse de retraite de l’Université.

Les universités qui reçoivent des dons de sociétés actives dans le secteur du pétrole, du gaz et du charbon font face au tir groupé des tenants du désinvestissement. Les étudiants de l’Université Dalhousie, notamment, ont ciblé les dons de 600 000 $ faits par Shell Canada à l’Université.

À d’autres universités, les participants à la lutte contre le réchauffement climatique savent bien qu’ils ne sont pas au bout de leur peine. Elizabeth Cannon, rectrice de l’Université de Calgary, a rejeté un appel à écarter les titres énergétiques totalisant 40 millions de dollars du fonds de dotation de 710 millions de dollars. Dans la revue des diplômés de l’Université, elle a souligné le rôle important joué par le secteur de l’énergie dans l’emploi des nouveaux diplômés, et le soutien financier de nombreuses sociétés énergétiques, sous forme de bourses d’études, de subventions à la recherche et d’investissements dans les immobilisations.

Une enquête de CBC a révélé le mois dernier que Mme Cannon avait touché plus de 130 000 $ en 2014 à titre d’administratrice du fonds de revenus du géant énergétique Enbridge, et qu’elle détient des actions du fonds pour une valeur de 800 000 $.

« On assiste à une augmentation des liens d’affaires entre les universités et l’industrie des combustibles fossiles, ce qui explique assurément cette forte résistance au dés­investissement au Canada », affirme Mme Maina. D’après elle, les gouvernements fédéral et provinciaux pourraient légiférer pour forcer les universités à désinvestir.

Pour Mme Kong, d’AGF, il y a cependant d’autres solutions que le désinvestissement, même si le monde financier semble s’y intéresser de plus en plus.

« Vous pensez peut-être faire une bonne action en vendant vos titres, mais c’est oublier qu’un autre investisseur les achètera à un prix moindre », dit-elle. « Vous devez aussi vous demander à quoi sert l’argent du désinvestissement… Il faut ménager une transition pour l’industrie des combustibles fossiles et le secteur industriel en général. On doit avoir une perspective plus globale. »