Réglementation accrue et reconnaıssance des droits ancestraux essentielles, selon Deborah Curran
Les experts sont catégoriques : les changements climatiques nous apporteront de nouvelles pénuries d’eau et conditions météorologiques extrêmes. Dans le contexte où les sécheresses, les inondations, la diminution du débit des cours d’eau, et la dégradation de la qualité des eaux souterraines et des aquifères deviendront monnaie courante au Canada, que pouvons-nous faire pour gérer l’utilisation de l’eau et protéger les bassins versants?
Le Canada ne compte que cinq spécialistes du droit qui se penchent sur la réglementation de l’eau et cherchent des solutions aux enjeux qu’elle présente. Deborah Curran en fait partie.
« J’ai spécifiquement choisi le droit afin d’être mieux outillée pour travailler en protection de l’environnement et en réglementation de l’eau », dit-elle. « Le Canada, aux prises avec une variabilité climatique croissante et des lois coloniales désuètes, doit s’attaquer plus sérieusement aux enjeux de l’eau. »
Mme Curran est titulaire de la chaire Hakai en droit de l’environnement et durabilité à l’Université de Victoria où elle étudie le droit de l’eau, ainsi que les diverses dimensions de la réglementation et du prélèvement de l’eau.
« L’eau constitue l’assise de nos économies. Or, nous n’avons aucun système qui permette un partage judicieux de la ressource et un suivi efficace des modifications du régime hydrologique dans la plupart des bassins versants », affirme-t-elle.
Elle soutient que les lois qui président à la gestion et à la réglementation des ressources en eau doivent être modulées en fonction des conditions hydriques, surtout s’il y a diminution du débit d’eau dans un bassin versant donné.
« Notre régime de lois coloniales est trop rigide pour s’adapter à la variabilité en temps réel des conditions hydriques », ajoute Mme Curran. Le Canada aurait tout intérêt à s’inspirer d’autres pays, comme l’Australie, en matière de réforme du droit de l’eau.
Le pays reste notamment à la traîne dans l’important domaine du contrôle de l’utilisation de l’eau, même si les Canadiens sont parmi les plus grands utilisateurs d’eau sur la planète et déboursent peu pour l’utiliser.
« Au Canada, nous avons très peu d’information sur l’utilisation de l’eau », affirme Mme Curran. « Il n’y a pratiquement aucune supervision des quelque 43 000 permis de prélèvement d’eau délivrés en Colombie-Britannique. »
À son avis, la sécheresse extrême qu’a connue cet été la côte sud de la province n’est pas un cas isolé, étant donné l’incertitude croissante liée aux changements climatiques et à ses impacts sur les ressources en eau.
En réponse à ce problème, la C.-B. a adopté une loi sur la gestion durable de l’eau qui remplace son ancienne Loi sur l’eau en vigueur depuis plus de 100 ans. La professeure Curran a conseillé la province dans le dossier de la modernisation de la législation sur l’eau, et l’entrée en vigueur de la nouvelle loi et du nouveau régime de gestion de l’eau sera, selon elle, « une première en matière de réglementation des eaux souterraines dans la province ».
Mme Curran entrevoit avec optimisme l’application de cette loi qui assujettit les décisions relatives à la gestion de l’eau et à l’utilisation du sol à des considérations de protection de l’environnement, et qui apporte des modifications à la gouvernance et au contrôle des ressources en eau.
Elle souligne cependant que la structure fondamentale de la réglementation et de la gestion de l’eau sont toujours empreintes de colonialisme et que le gouvernement de la C.-B. a raté ici une belle occasion de reconnaître les droits ancestraux.
« Aucun régime colonial ne tient compte des droits des Autochtones par rapport aux ressources en eau et c’est une question qu’il faudra bientôt résoudre », signale Mme Curran.
Les droits issus de traités sont garantis dans certaines lois, comme les lois sur la protection du poisson, mais ne le sont pas dans les lois sur l’eau.
« Comme les Autochtones ont des droits de pêche au saumon, il est pour le moins légitime qu’on reconnaisse leurs droits par rapport aux eaux où le saumon fraie », ajoute-t-elle.
« Il faudra absolument travailler de concert avec les Premières Nations et d’autres communautés à l'application de la nouvelle loi. »
Mme Curran a récemment collaboré à la rédaction d’un rapport pour le projet POLIS sur la gouvernance écologique intitulé Awash with Opportunity, qui énonce des pratiques exemplaires pour assurer une gestion durable de l’eau en Colombie-Britannique dans le cadre de la nouvelle loi.
De concert avec son équipe de l’Environmental Law Clinic, Mme Curran a également travaillé avec plusieurs communautés des Premières nations aux efforts de revendication d’une eau potable salubre dans les réserves.
« Partout au Canada, la qualité de l’eau dans les réserves est déplorable », affirme Mme Curran.
Le gouvernement fédéral a adopté des recommandations pour la qualité de l’eau potable dans les réserves sans toutefois affecter les ressources nécessaires afin de résoudre les problèmes qui y font obstacle.
« Reste à voir si le nouveau gouvernement fédéral s’attaquera à la grave crise de l’eau dans les communautés des Premières nations », dit-elle.
Quant à savoir si les universités et collèges peuvent contribuer à juguler la crise de l’eau, elle répond : « Absolument, ils ont plusieurs moyens d’action. Il faut offrir des cours obligatoires sur l’eau dans les facultés de génie, d’administration, de droit et d’études de l’environnement. De nombreux chercheurs universitaires étudient les enjeux de l’eau, mais il faut renforcer les liens entre ces chercheurs dans les domaines des sciences naturelles et des sciences sociales. »
À cet égard, selon la professeure Curran, il y aurait lieu de favoriser les collaborations interdisciplinaires.
« De plus, les universités pourraient contribuer à la rénovation des bâtiments en fonction de la certification LEED », ajoute-t-elle. « Toutes les universités devraient agir pour réduire leur consommation d’eau. Non seulement protégeraient-elles l’environnement, mais elles feraient aussi d’importantes économies. »
Mme Curran est également la fondatrice de l’ONG Smart Growth BC, vouée à un développement et à une utilisation du sol responsables sur les plans financier, social et environnemental.