Back to top

Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

février 2016

Les mots ne suffisent plus

Accomplir l’équité exige une action réelle, selon Malinda Smith

Les belles politiques et les gestes symboliques, Malinda Smith en a soupé. Pour la professeure agrégée au département de science politique de l’Université de l’Alber­ta, si les universités veulent vraiment réaliser l’équité, elles doivent cesser d’en parler et mener des actions concrètes.

« Malgré quatre décennies de politiques favorisant l’équité et la diversité, la publication d’une pléthore de déclarations de principe, des clauses d’équité dans des offres d’emploi témoignant d’une volonté d’agir, et des sites internet dépeignant des images fantastiques de notre multiculturalisme, la plupart des universités n’ont pas réussi à passer des paroles aux actes », a martelé Mme Smith devant les membres de l’ACPPU.

Le combat de Mme Smith pour l’équité et la justice a été salué dans le cadre de la 79e assemblée du conseil de l’ACPPU, qui se tenait à la fin de novembre dernier. L’ACPPU lui a remis le prestigieux Prix de l’équité 2015 pour souligner le travail qu’elle a accompli depuis plus de 20 ans pour améliorer la condition des femmes, des minorités raciales, des peuples autochtones, des personnes ayant une limitation fonctionnelle ainsi que des membres de la communauté LGBTAB-S.

Cette spécialiste des questions d’équité dresse un constat sans équivoque : la situation stagne pour tout le monde malgré la rhétorique et malgré tous les documents et rapports qui ont été produits depuis des années. « Nous sommes au beau fixe sur la question de l’équité. Cela est vrai pour le statut des femmes dans le milieu académique. Cela est encore plus vrai pour les Autochtones et les professeurs de couleur », a-t-elle souligné.

Pour Mme Smith, il suffit de regarder la composition de la majorité des représentants du monde académique pour s’en convaincre. « Étonnamment, le leadership de pratiquement toutes les organisations académiques nationales demeure pour l’essentiel dominé par des Blancs, avec quelques progrès sur la question de l’égalité des sexes. Notre travail est loin d’être terminé et, dans certains cas, comme dans celui des personnes à mobilité restreinte, il semble ne pas avoir encore débuté. »

Elle croit que le milieu universitaire résiste au changement à l’instar de toutes les autres organisations. Elle croit également que les concepts de justice et d’équité, s’ils sont gé­néralement acceptés, sont rarement appli­qués dans la réalité quotidienne.

« Même ceux qui se disent partisans de l’équité ne la mettent souvent pas en application quand cela est crucial, soit dans l’embauche, dans l’octroi de la permanence et des promotions, dans les curriculums et dans les postes de leadership. Encore beaucoup de gens semblent penser que l’on peut remettre l’équité à plus tard ou que c’est un luxe que l’on se paiera quand nous en aurons les moyens », croit Mme Smith.

Mais il est plus que temps d’agir, rappelle l’experte en soulignant la montée récente de la xénophobie, du fanatisme religieux et de la violence raciale en Amérique du Nord. « L’utilisation d’un langage politique codé au cours de la dernière campagne électorale au Canada et durant la présente campagne présidentielle aux États-Unis n’est pas garante de succès électoral mais, peu importe, ces pratiques ont des effets insidieux qui offrent, entre autres, un espace public aux idées racistes et bigotes. »

Mme Smith est d’avis que les organisations académiques doivent ouvrir la voie à l’ouverture et au changement. Il leur faut tout particulièrement s’attaquer au fait que les gens tendent à recommander les gens qu’ils connaissent et qui leur ressemblent lorsqu’il s’agit, par exemple, de désigner les membres de comités, de choisir les conférenciers et d’octroyer des promotions. « Nous ne pouvons pas continuer à agir de la même manière et espérer un résultat différent. »

Elle souhaite également dissiper l’impression que l’équité est l’apanage de quelques rares privilégiés. « Choisir des gagnants n’est pas une façon d’avoir une justice, c’est une façon de se donner plus de pouvoir. Qui est choisi pour être inclus et par qui? Certains d’entre nous allons sélectionner des femmes et favoriser l’égalité des sexes. D’autres vont sélectionner des gens de la communauté LGBTA et promouvoir ainsi la justice pour les minorités sexuelles. De nos jours, nous vivons une mobilisation urgente en faveur de la justice pour les Autochtones et de l’indigénisation du milieu académique. »

« Mais les gens qui attendent l’équité depuis déjà trop longtemps, ce sont les universitaires de couleur. Nous sommes, semble-t-il, au fond du baril, les collègues que l’on laisse s’effacer, disparaître. Cette pratique de division, que le langage néolibéral désigne comme des « priorités » n’est pas un geste d’équité ou de justice ou de décolonisation. C’est l’exercice d’un pouvoir déterminé à se protéger en prédéterminant les gagnants et les perdants. Nous devons résister à ce mouvement et nous rappeler que des inégalités encore plus grandes se cachent aux points d’intersection », a conclu Mme Smith.