Lors des dernières élections fédérales, le rejet, par la plupart des Canadiens, du discours politique à double entente, à connotation raciste et xénophobe, a suscité un bel élan d’espoir. Espoir amoché par la découverte que tant de nos leaders gouvernementaux ont cru au départ qu’ils marqueraient des points en exploitant les tensions raciales et que, pour une minorité non négligeable d’électeurs, le monde se divise vraiment en deux : « nous » (les soi-disant Canadiens « de souche ») et « eux » (les autres, que l’on peut isoler, particulièrement en raison de différences raciales ou ethniques).
Cette déception a été suivie d’un autre réveil brutal. Un mois après les élections et peu avant la diffusion du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation sur les pensionnats autochtones, CBC a dû suspendre la publication des commentaires du public sur ses reportages en ligne sur les Autochtones, à cause du nombre disproportionné de propos inadmissibles provenant d’auteurs ignorants des enjeux ou mal informés.
Les déclarations et les gestes préjudiciables à l’endroit spécifiquement des minorités racialisées et des peuples autochtones sont, hélas, trop fréquents dans l’espace public et rien n’indique qu’ils disparaîtront de sitôt. Au contraire, le racisme est de plus en plus répandu dans la société moderne, et c’est à nos dépens que nous fermons les yeux ou nions ce mal.
Nier le racisme est une réaction plus subtile et néanmoins malsaine que même des membres bien intentionnés de la communauté peuvent avoir. Par exemple, d’aucuns peuvent affirmer qu’on ne peut pas véritablement parler de racisme en l’absence d’une agression flagrante, que le racisme est le fait de quelques « pommes pourries » seulement, ou que nous pouvons simplement l’éliminer en adoptant une attitude neutre face à la couleur de la peau. S’il est important d’avoir de bonnes intentions, cela n’est pas suffisant quand des collègues, étudiants et voisins racialisés sont victimes d’une discrimination réelle, continue et systémique.
De fait, les universités et les collèges du Canada ne sont nullement exempts de racisme et de ses conséquences. Ces conséquences sont parfois évidentes et même violentes; le plus souvent toutefois, elles ne sautent pas aux yeux, et il peut être plus difficile même de les reconnaître et de réagir. Mais qu’on ne s’y trompe pas : l’accumulation des petites agressions quotidiennes crée un stress qui peut peser lourd sur la santé des victimes. Les remarques machinales, l’isolement social, un traitement différent dans le milieu de travail ou encore une menace proférée dans les évaluations anonymes des étudiants ou les graffitis dans les toilettes sont des facteurs de stress qui peuvent perturber profondément certaines personnes, et d’autant plus quand l’entourage peut prétendre qu’ils n’existent pas.
Les tragédies survenues chez notre voisin américain, notamment à Yale et à l’Université du Missouri, nous rappellent cette vérité importante : les systèmes de privilèges et de marginalisation fondés sur la race peuvent infecter une société pendant des générations sans qu’on reconnaisse leur existence. Bien que, sur certains campus canadiens, le poids des groupes raciaux n’entraîne pas les mêmes différences raciales et puisse même favoriser une attitude de déni, les problèmes sous-jacents y sont semblables. Nous avons aussi un problème. Nous devons en parler et chercher des solutions collectives.
Il est heureux que le milieu académique soit précisément un espace où le sectarisme et le racisme sous toutes leurs formes peuvent être examinés d’un oeil critique, reconnus pour ce qu’ils sont et creusés pour en dégager les racines afin d’améliorer les pratiques et leurs effets futurs. Bon nombre d’entre nous font consciemment de leur mieux pour mener leurs recherches et donner leurs cours dans une perspective non raciste. Cette action individuelle doit être renforcée davantage par notre action collective. Dans ses recommandations, la Commission de vérité et réconciliation nous met au défi d’examiner comment nous pourrions modifier les programmes d’études pour mieux instruire les étudiants sur la relation historique et actuelle du Canada avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Nous serions avisés de relever ce défi, et même d’aller au-delà, dans notre mission académique d’intérêt public.
Les établissements d’enseignement doivent aussi contribuer au changement de mentalité. La négociation collective et la législation nous ont déjà permis de faire pression sur nos employeurs afin qu’ils s’engagent plus concrètement à améliorer l’équité en matière d’emploi et la sécurité au travail, et à reconnaître pleinement les activités de service à la communauté qui reposent de façon disproportionnée sur les épaules de groupes sous-représentés. L’équité doit demeurer une priorité de nos syndicats et associations de personnel académique pour que les milieux universitaire et collégial soient non seulement inclusifs, accessibles et représentatifs, mais aussi équitables et exempts de discrimination. Les collègues racialisés ainsi que les étudiants racialisés, dont certains seront peut-être un jour nos collègues — doivent être bien accueillis et représentés. Surtout, leur voix doit être entendue et leurs expériences, vues comme des contributions positives.
Le racisme existe, point à la ligne. Il n’est pas limité aux pires sectaires, pas plus qu’il n’est le problème d’une « minorité ». Le racisme est une injustice systémique et notre communauté tout entière doit le reconnaître, y prêter attention, et s’engager à l’éradiquer.