La doctorante Eden Hennessey de l’Université Wilfrid-Laurier a monté l’exposition de photos intitulée #DistractinglySexist pour mettre en lumière le sexisme auquel font face les femmes dans les professions scientifiques et techniques. [Hilary Gauld]
Le principe de l’objectivité est censé être le pilier de la science. La recette est simple : retirez les ingrédients qui caractérisent les individus, comme les partis pris, les émotions, les intérêts, etc., et vous obtenez une société capable de mettre au jour les vérités du monde naturel.
Mais les disciplines académiques mêmes où ce principe règne en maître — la science, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques (STIM) — appliquent encore deux poids deux mesures. Il est en effet troublant de constater la place que le sexisme y occupe encore.
Si les femmes sont plus nombreuses à entreprendre des études de premier cycle, elles demeurent largement sous-représentées au sein du personnel académique et administratif.
« En réalité, ces disciplines sont encore loin d’être objectives », déclare Nola Etkin, professeure de chimie à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard et membre du Comité de l’équité de l’ACPPU.
« Le système de méritocratie masculine et macho gouverne encore pas mal le milieu académique, du processus de recrutement aux comportements quotidiens. »
Cet écart entre les sexes a été qualifié de « tuyau percé » (leaking pipeline), pour illustrer le fait que beaucoup de femmes faisant carrière dans les secteurs STIM jettent l’éponge à un moment donné. Quand on examine la répartition selon le sexe des titulaires des bourses du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG), on ne peut qu’être frappé par la disparité hommes-femmes, et par le peu de reconnaissance accordée aux chercheuses.
Février 2015 : 22 seulement des 130 nouvelles chaires de recherche du Canada ont été attribuées à des femmes.
Depuis 1991, le CRSNG décerne chaque année la médaille Gerhard-Herzberg à un chercheur en sciences naturelles ou en génie qui se distingue par l’excellence continue et l’influence générale de ses travaux. Il a fallu attendre 2016, pour qu’une femme, Victoria Kaspi, reçoive cet honneur.
Depuis sa création en 2006, seulement deux femmes ont reçu le prix John-C.-Polanyi du CRSNG.
Seulement deux des 25 chaires d’excellence en recherche du Canada sont occupées par des femmes. En 2010, aucune femme ne figurait parmi les premiers titulaires.
Selon Mme Etkin, bien des facteurs expliquent l’attitude peu accueillante de ces disciplines à l’égard des femmes. Ils vont du critère de « l’adéquation », pour le moins nébuleux et très subjectif, qui est appliqué dans la plupart des recrutements, au manque d’encouragements prodigués aux femmes pour qu’elles posent leur candidature à une promotion ou à une bourse.
Les femmes sont de plus en plus nombreuses à dénoncer la culture sexiste dans les sciences et certaines le font avec une bonne dose de créativité.
L’an dernier, quand Tim Hunt, un lauréat du prix Nobel, s’est plaint du fait que la présence de femmes scientifiques dans les laboratoires causait des problèmes parce que celles-ci « distrayaient » prétendument leurs collègues masculins, il a déclenché une vague d’indignation dans le monde entier, et une tempête sur les médias sociaux, avec le mot-clé #distractinglysexy. Hunt par la suite démissionné de son poste à l’University College de Londres.
La doctorante Eden Hennessey de l’Université Wilfrid-Laurier a alors eu l’idée de monter une exposition de photos intitulée #DistractinglySexist, pour mettre en lumière le sexisme auquel font face les femmes dans les professions scientifiques et techniques.
« C’est difficile pour les femmes de s’élever contre le sexisme et le préjugé voulant que les carrières dans les disciplines STIM soient les chasses gardées des hommes, car elles peuvent en payer le prix socialement », soutient Mme Hennessey. « En prenant la parole, elles peuvent susciter des réactions hostiles, et cela peut influencer leur décision de poursuivre ou non une carrière dans ces disciplines. »
Prendre la parole, c’est aussi, ajoute-t-elle, alimenter parfois le phénomène du tuyau percé. Les femmes qui dénoncent le sexisme risquent d’être exclues de leurs réseaux professionnels. D’être un objet de risée, d’être harcelée et de s’attirer le blâme de leur entourage.
Son exposition se veut un moyen de libérer les femmes scientifiques qui dénoncent le sexisme de cette aura de blâme et de souligner plutôt leur travail.
« C’est dur de casser le moule », affirme Mme Etkin, en songeant aux défis posés par le système. « Mais je comprends maintenant à quel point il est important de parler. »
Elle s’est alliée au groupe des femmes chimistes et de leurs amis, de l’Institut de chimie du Canada, pour encourager les chefs de département dans les universités et les collèges à poser la candidature de plus de femmes à des bourses de recherche et à accroître la représentation des femmes à la direction des disciplines scientifiques.
Elle souligne que les femmes, et les membres d’autres groupes marginalisés, doivent solliciter des postes administratifs et s’entraider pour accéder à des niveaux supérieurs, « parce que c’est la seule façon d’assurer que les choses changent. »
Elle dit avoir déjà remarqué un changement dans sa propre faculté depuis qu’une femme a été nommée rectrice. « Cela a un effet sur l’opinion que j’ai de moi-même et sur mon engagement. »
Les femmes qui font partie d’autres groupes marginalisés font face à des défis encore plus grands pour se tailler une place dans le monde scientifique où elles se sentiront à l’aise et en sécurité.
Mme Etkin affirme qu’à l’époque de ses études supérieures, elle avait peur de s’affirmer comme lesbienne, surtout que son superviseur agissait différemment envers les femmes et qu’il était aussi homophobe, au dire de certains.
« L’appartenance à un groupe minoritaire a de nombreuses répercussions subtiles sur votre carrière, et tout devient plus compliqué », précise-t-elle. « Vous ne savez jamais si c’est le fait d’être une lesbienne ou d’être une femme qui fait problème. La différence exige beaucoup d’énergie. »
Maintenant qu’elle a obtenu sa permanence, Mme Etkin sent le besoin de parler pour trouver des façons de changer la culture subjective du monde scientifique.
« En tant que scientifique, je dois aussi éduquer les gens, sur la chimie, mais aussi sur d’autres choses, comme l’équité », soutient Mme Etkin. Voilà pourquoi elle organise un débat sur l’équité et la diversité en chimie pour la conférence que tiendra cette année la Société canadienne de chimie.
Le CRSNG a mis en oeuvre quelques initiatives pour favoriser l’avancement des femmes dans les professions en sciences et en génie, comme le Programme de chaires régionales pour les femmes en sciences et en génie.
Le CRSNG a toutefois mis fin à des programmes essentiels, de dire Mme Etkin, comme le Programme d’appui aux professeurs universitaires, créé pour remédier à la sous-représentation des femmes et des Autochtones au sein des corps professoraux en sciences et en génie.
« Il est capital de le rétablir », soutient-elle.
Elle est d’avis qu’une plus grande équité dans les disciplines STIM est la seule façon de modifier la culture dans les structures et au quotidien, pour soutenir les femmes oeuvrant dans ces domaines.
« Examinez votre département », dit-elle. « Regardez les gens qui en font partie. Regardez comment ils sont traités et faites ce que vous pouvez pour vous entraider. »