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La participation du personnel académique à la gouvernance des établissements est depuis longtemps considérée comme une composante essentielle de la liberté académique. Or, la gouvernance collégiale et, partant, la liberté académique subissent aujourd’hui les assauts de nouvelles pratiques de gestion et de la concentration accrue des pouvoirs entre les mains de la direction.
« Une allince contre nature s’est formée entre les aspects économiques et de gestion, de sorte que la principale raison d’être de l’université d’aujourd’hui réside dans l’amélioration des résultats financiers, le flux monétaire (à ses fins propres), et la gestion de tout ce qui régit ce flux », soutient Thomas Docherty, professeur d’anglais et de littérature comparée à l’University of Warwick, au Royaume-Uni.
Inlassable pourfendeur de l’état de la gouvernance dans les universités de son pays, M. Docherty connaît très bien l’importance de préserver le droit à la critique et à la dissension. En 2015, accusé de « pousser des soupirs inappropriés », de « faire des commentaires ironiques » et d’« afficher un langage corporel négatif » durant des entrevues d’embauche en présence de son chef de département, il a été suspendu de ses fonctions.
L’université l’a banni du campus pendant neuf mois, lui interdisant aussi de rédiger des lettres de référence pour des étudiants, de superviser des doctorants et d’avoir des contacts avec des étudiants de premier cycle. La direction a refusé d’admettre que les récriminations du professeur Docherty à l’égard de la commercialisation de l’éducation avaient influé sur sa décision de le suspendre, et elle a dû le rétablir dans ses fonctions dès qu’il a été blanchi de toutes les accusations qui pesaient contre lui.
« En théorie, je n’avais même pas le droit de dire à ma famille que j’étais suspendu puisqu’il s’agissait d’une décision confidentielle », déclare M. Docherty. « L’université voulait ainsi s’assurer que ma situation ne serait pas l’objet de discussion au sein du corps professoral, par crainte, le cas échéant, d’en perdre le contrôle. »
Afin de contrer de telles menaces à la liberté académique, « les membres du personnel académique doivent s’organiser et unir leurs voix », affirme Peter McInnis, professeur d’histoire à l’Université St. Francis Xavier et président du Comité de la liberté académique et de la permanence de l’emploi de l’ACPPU. « Les syndicats décuplent notre force et l’accréditation est l’assise de la négociation et de la protection de notre liberté académique. »
Pour illustrer ce point, M. McInnis mentionne le travail des associations de personnel académique à l’Université de la Colombie-Britannique en réaction à la démission surprise du recteur, à l’Université de Calgary face à l’apparence de conflit d’intérêts liée au Enbridge Centre for Sustainability, et à l’Université Western dans la foulée du scandale entourant la rémunération du recteur.
Ellen Schrecker, professeure d’histoire à l’Yeshiva University à New York et spécialiste du maccarthysme, est on ne peut plus d’accord. « Aux États-Unis, nous voyons les mêmes tendances se dessiner, mais les professeurs ne sont pas syndiqués », dit-elle.
Mme Schrecker doute que la gouvernance partagée avec le personnel académique ait déjà existé, mais reconnaît que jusqu’au milieu des années 1970, tant le personnel que la direction des établissements étaient fortement attachés à l’idée.
« La gouvernance partagée avait alors une aura positive. Les universités n’en avaient pas que pour leurs résultats financiers; elles gonflaient les rangs professoraux. Au fil du temps, par contre, elles ont étendu leurs tentacules au point de vouloir désormais exercer leur contrôle sur les programmes et sur le personnel. Pourtant, ce sont les membres du corps professoral qui savent le mieux ce qu’il y a lieu d’enseigner et qui devrait l’enseigner », ajoute-t-elle.
Françoise Baylis, sénatrice et professeure d’éthique à l’Université Dalhousie, a siégé à de nombreux conseils au fil de sa carrière. Selon elle, les tensions entre les résultats financiers et la mission académique ne cessent de croître.
« Il n’y a pas toujours unanimité dans les hautes sphères de l’université », dit-elle. « Les intérêts du conseil des gouverneurs, du sénat et de la direction divergent souvent. »
Selon elle, les établissements d’enseignement supérieur naviguent en eaux troubles « parce que nous n’arrivons pas à mettre le cap dans la même direction. Nous n’avons plus de vision limpide et concertée de ce qu’est censée être l’institution. Nous sommes donc en train de flouer souverainement nos étudiants. »
Le problème réside non seulement dans le financement inadéquat de l’enseignement postsecondaire, mais aussi, et surtout, dans l’exercice du leadership. Selon Mme Baylis, quand les dirigeants font ce qui est juste, toute l’organisation emboîte le pas.
« D’après mon expérience comme membre de conseils et d’organes de gouvernance, tout dépend de la personne qui tient le gouvernail », dit-elle. « Nous avons besoin d’un plus grand nombre de dirigeants qui ont à la fois le courage moral de se battre pour défendre ce en quoi ils croient et l’humilité personnelle de reconnaître que nous sommes tous des êtres faillibles qui ont besoin de soutien pour surmonter les difficultés. »
« À l’heure actuelle, la gestion est essentiellement réduite au contrôle de la conformité sociale et politique, au contrôle des comportements, voire à l’autocontrôle des comportements », ajoute M. Docherty. « Au Royaume-Uni, la plus récente abomination à ce titre est une stratégie pour prévenir la radicalisation des jeunes musulmans. En vertu de la loi, je suis dorénavant tenu de signaler, par exemple, des changements de comportement chez mes étudiants. C’est exactement le portrait que j’ai toujours eu de l’enseignement! »
M. Docherty croit que les partenariats sociaux et les collaborations entre les organisations comme l’ACPPU sont nécessaires pour défendre les intérêts du personnel académique. « C’est le monde de Harry Crowe qui, ne l’oublions pas, n’a pas agi seul. Congédié de l’United College en 1958, puis rétabli dans ses fonctions, il démissionnait ensuite pour protester contre le fait que des collègues qui avaient démissionné dans la foulée de son congédiement n’avaient pas été réintégrés à leur poste. Ce geste — à la défense d’une liberté qui n’est pas qu’académique — est l’impératif politique qui devrait aujourd’hui présider aux destinées de nos établissements. »
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La gouvernance d’un océan à l’autre
Colombie-Britannique
Février 2016 : Le sénat de l’Université du Nord de la Colombie-Britannique adopte une motion de censure à l’endroit du président du conseil des gouverneurs alléguant des irrégularités et l’absence de consultation dans le processus de nomination de James Moore au poste de chancelier.
Alberta
Décembre 2015 : L’association du personnel académique de l’Université de Calgary dénonce le secret dont s’entourent de plus en plus les instances dirigeantes de l’établissement et la mise en place de processus académiques conçus pour accroître progressivement le contrôle de la haute direction sur la gouvernance collégiale bicamérale.
Saskatchewan
Mars 2016 : En prévision d’un grand nombre de nominations et d’examens administratifs, l’association du personnel académique de l’Université de la Saskatchewan rappelle à ses membres que non seulement ils ont tout intérêt à participer pleinement aux processus de nomination et de renouvellement de nomination des cadres supérieurs, mais qu’ils en ont aussi le droit. Elle souligne que les membres siégeant à un comité d’embauche doivent veiller à ce que les consultants externes retenus aux fins de recrutement n’exercent pas d’influence indue sur le processus et ne s’arrogent pas la prise de décisions.
Manitoba
Janvier 2016 : L’association du personnel académique de l’Université du Manitoba lance un processus budgétaire parallèle afin de contester les priorités de l’administration universitaire en matière de dépenses.
Ontario
Décembre 2015 : Un membre du personnel académique élu au conseil des gouverneurs de l’Université Carleton fait face à des mesures disciplinaires pour avoir refusé de signer une ordonnance lui interdisant de parler publiquement des questions examinées au conseil.
Octobre 2015 : Une enquête indépendante à l’Université Western fait état de graves lacunes au titre de la négociation du contrat du recteur Amit Chakma.
Québec
Mars 2016 : Le Syndicat général des professeurs et professeures de l’Université de Montréal qualifie de bidon le processus de consultation mis en place sur le projet de transformation de l’université. Le syndicat dépose une plainte devant le Tribunal administratif du travail du Québec.
Nouvelle-Écosse
Novembre 2015 : Le syndicat du personnel académique de l’Université Saint Mary’s a gain de cause à la suite d’un grief dénonçant la mise à l’écart du syndicat dans le processus de recrutement du recteur.