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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

avril 2016

La crise, quelle crise?

Depuis plusieurs années déjà, les universités et les collèges canadiens invoquent l’insuffisance des fonds pour imposer coupes et licenciements.

Si, partout au pays, les établissements postsecondaires s’emploient de plus en plus à faire de l’austérité leur principal mot d’ordre, les faits mettent en doute dans bien des cas les cris de détresse financière qui sont lancés. L’an dernier, près de 75 % des universités et collèges canadiens ont enregistré des surplus.

Selon des données compilées par l’ACPPU, à peine 21 universités ou collèges ont cumulé un déficit budgétaire en 2014-2015. Mais encore, l’ampleur de ces déficits était de 2 % ou moins du budget total pour sept de ces établissements. À l’Université Memorial de Terre-Neuve, par exemple, l’administration a bouclé son année financière avec un manque à gagner de 45 320 $, soit 0,7 % de ses revenus.

« Ça fait quatre décennies qu’on nous parle de crise et d’austérité en éducation », affirme Alison Hearn, professeure agrégée à la Faculté d’information et d’étude des médias et ancienne présidente de l’association du personnel académique de l’Université de Western Ontario (UWOFA). « Nous vivons dans une culture de l’austérité perpétuelle et de la nécessité de couper dans les dépenses. C’est l’hégémonie du néo-libéralisme ».

Les universités, selon elle, sont victimes aujourd’hui d’une idéo­logie qui perçoit les institutions publiques de plus en plus comme des entreprises du secteur privé qui devraient tendre à des objectifs à court terme. « On ne parle plus de citoyens, mais de contribuables. On ne parle plus de politiciens ni de fonctionnaires, mais de technocrates », ajoute Mme Hearn.

Cette exigence de résultats rapides imposée aux universités et collèges a pris diverses formes : augmentation de l’effectif des classes, hausse du nombre de cours offerts en ligne, octroi de financement de la recher­che en fonction de son potentiel commercial, diminution du nombre de professeurs permanents, hausse du nombre de contractuels et diversification des revenus.

« La crise financière fait partie intégrante de l’université gérée et commercialisée », souligne Len Findlay, professeur au département d’anglais de l’Université de la Saskatchewan.

Plus tôt cette année, le recteur de l’Université du Cap-Breton, David Wheeler, a pris l’association du personnel académique de l’établissement (CBUFA) complètement au dépourvu lorsqu’il a annoncé qu’il procéderait à des mises à pied parmi le corps universitaire en raison d’une « urgence financière ».

« Nous avons engrangé des surplus au cours des dix dernières années », souligne le président de la CBUFA, Scott Stewart.

Confronté à la menace de voir des postes disparaître, le syndicat a embauché deux professeurs de comptabilité de l’Université du Manitoba pour examiner de près les livres comptables de l’Univer­sité du Cap-Breton (CBU). Et leur analyse a conclu que cette dernière était finan­ci­èrement stable.

« L’université a tenté de dresser un sombre tableau, et il nous fallait trouver le moyen de démentir ce qu’elle voulait nous faire croire », a fait valoir M. Stewart.

Finalement, le syndicat et la CBU ont convenu de suspendre l’application des clauses de la convention collective relatives aux mises à pied.

« Quand on ne nous parle que d’austérité, même quand nos coffres prouvent le contraire, il reste très peu de temps aux gens pour se soucier de la gouvernance collégiale et de la liberté académique », note Mme Hearn.

Elle croit que la seule façon de faire bouger les choses est de pren­dre le contrôle de la conversation. « Il faut faire de la recherche. Il faut organiser nos membres qui siè­gent au sénat. Et les associations devraient systématiquement analyser les budgets de leurs établissements. On nous dit qu’il faut des vérifications internes, mais qui vérifie les vérificateurs? »

Lorsque le scandale sur la double rémunération du recteur de Western a été mis au grand jour l’an dernier, le syndicat dont est membre Alison Hearn a entrepris une analyse des états financiers de l’université. Il a découvert qu’entre 2009 et 2013, l’administration avait engrangé des surplus totalisant 202 millions de dollars, tout cela en tenant un discours prônant l’austérité.

« La vérité nous a sauté aux yeux. Après des années d’austérité, on a pu voir noir sur blanc quelles étaient leurs réelles priorités », souligne Mme Hearn.