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Furieux et désemparé. Voilà qui décrit bien l’état d’esprit d’un professeur de l’Université Acadia quand il s’est aperçu que l’administration avait « retouché » sans le consulter la note qu’il venait d’attribuer à un étudiant international, par souci d’« être à l’écoute » de ses besoins.
Comme la majorité de ses collègues, ce professeur, qui souhaite demeurer anonyme, dit que l’internationalisation des universités et des collèges canadiens comporte le plus souvent beaucoup d’avantages, mais s’inquiète de la possibilité que les établissements s’en servent pour remplir leurs coffres.
« Certains étudiants internationaux ont signé avec leur gouvernement une entente en vertu de laquelle ils doivent assumer les frais de tout cours échoué. J’ai été témoin de cas où les notes d’un étudiant avaient été majorées parce que celui-ci avait affirmé ne pas pouvoir payer la facture », ajoute-t-il. « Cette pratique est injuste, pour le professeur qui donne le cours et pour les autres étudiants. »
En 1992, 3 % des étudiants de niveau postsecondaire au Canada venaient de l’étranger. En 2014, ils étaient près de 10 %. La Colombie-Britannique est la province qui a connu la plus forte vague d’étudiants internationaux, ceux-ci représentant aujourd’hui 16,4 % de sa population étudiante. Suivent la Nouvelle-Écosse (15,8 %) et le Nouveau-Brunswick (15,7 %).
« En général, l’ouverture au monde de nos établissements d’enseignement leur est très bénéfique », soutient Jacqueline Holler, professeure d’histoire à l’Université de Northern British Columbia. « Par exemple, il est évident que la présence d’étudiants internationaux à Prince George engendre une conscience planétaire plus aiguë, apporte une diversité enrichissante de points de vue et ajoute une touche nettement cosmopolite à cette collectivité éloignée. »
Mme Holler étudie, pour le compte de l’ACPPU, l’impact de l’augmentation du nombre d’étudiants internationaux sur les charges de travail des professeurs. Selon elle, il y a péril en la demeure quand un établissement d’enseignement postsecondaire considère la venue d’étudiants de l’étranger comme un moyen de boucler son budget. Elle s’inquiète notamment du fait que les « étudiants internationaux courent le risque d’être exploités », d’être traités comme des « vaches à lait », pour compenser la diminution du financement public.
Les étudiants internationaux sont de plus en plus vus comme des sources de revenus pour les établissements en difficulté financière. Dans l’année académique 2015-2016, un étudiant international fréquentant une université canadienne paiera, en moyenne, 21 932 $ en frais de scolarité, soit trois fois plus qu’un étudiant canadien. Les établissements font des pieds et des mains pour attirer les étudiants internationaux, mais ne disposent pas toujours des ressources nécessaires à leur réussite scolaire.
En Australie, il y a longtemps déjà que les universités se sont tournées vers l’internationalisation pour compenser la diminution du financement public par étudiant. Les étudiants internationaux représentent aujourd’hui entre 20 et 30 % des effectifs étudiants totaux de la plupart des universités, et la troisième source en importance de revenus en devises.
« L’expérience des étudiants internationaux est contrastée. Malheureusement, la réalité n’est pas toujours à la hauteur des attentes. Les étudiants internationaux subventionnent les étudiants australiens, mais ils vivent au quotidien les mêmes problèmes qu’eux, c’est-à-dire des classes surpeuplées, un soutien insuffisant donné par les professeurs, dont plus de la moitié sont des occasionnels, etc. Les professeurs contractuels sont payés pour quelques heures de cours seulement, mais les étudiants s’attendent à ce qu’ils donnent de leur temps gratuitement pour bien noter leurs travaux et répondre à leurs questions », remarque Jeannie Rea, présidente du syndicat australien National Tertiary Education Union.
« Les universités et les collèges sont-ils en train de développer une dépendance dangereuse envers les étudiants internationaux simplement parce que ceux-ci génèrent des revenus? C’est une préoccupation légitime », dit le directeur général de l’ACPPU, David Robinson. « Nous devons veiller à ce que les impératifs commerciaux ne priment pas les valeurs et l’intégrité académiques. »
L’expérience du professeur anonyme de l’Université Acadia confirme que cette préoccupation est justifiée. En effet, il avance que les doyens et les directeurs de son département ont donné au personnel académique la consigne de ne pas appliquer les normes académiques ou de ne pas sanctionner les plagiaires « parce que le plagiat est acceptable dans certaines cultures ».
L’Australie est aux prises avec la même situation, selon Mme Rea. La multiplication des cours en ligne crée un environnement anonyme propice aux activités d’individus et d’entreprises sans scrupule qui proposent aux étudiants de leur vendre des travaux ou de passer les examens à leur place, pour un prix donné.
« Les administrations des universités exercent des pressions sur les professeurs pour qu’ils “mettent la pédale douce” à l’endroit des étudiants internationaux, pour éviter de compromettre les revenus qu’ils génèrent », ajoute-t-elle.
Les étudiants internationaux font face à des défis énormes sur les campus, affirme Bilan Arte, porte-parole nationale de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants. « Ils ont besoin d’un soutien adapté à leur situation particulière, mais il n’existe malheureusement aucune structure d’accompagnement. »
Elle cite en exemple l’Université du Manitoba où elle a agi comme représentante des étudiants. « Une poignée de spécialistes seulement était sur place pour conseiller les étudiants internationaux, les orienter dans leurs études, les informer des exigences relatives aux visas, mais aussi pour les aider psychologiquement à surmonter le choc culturel et le stress financier. »
Mme Holler constate que, devant la défection des universités, les professeurs prennent sur eux d’aider les étudiants internationaux à affronter l’inconnu ou le racisme, ce qui rejaillit sur leur charge de travail.
« Les professeurs, particulièrement ceux issus de l’immigration, finissent par être des personnes-ressources polyvalentes », conclut-elle. « Ils se soucient de la réussite des étudiants internationaux, mais estiment que celle-ci doit être le résultat d’un soutien plus solide de la part des établissements, et non de compromis dans l’application des normes académiques. »