Le contexte a son importance. Cela m’est revenu à l’esprit au moment d’écrire ma première chronique à titre de président de l’ACPPU en poste depuis la clôture de la 80e assemblée du Conseil en mai. Comme d’habitude, le premier après-midi de l’assemblée a été consacré à un panel éclairant. Invités à débattre cette année de l’intégration des Autochtones dans le milieu académique, trois expertes — Marie Battiste de l’Université de la Saskatchewan, Jacqueline Ottmann de l’Université de Calgary et Rainey Gaywish de l’Université Algoma — ont su capter l’attention des participants avec leurs échanges stimulants sur une foule d’enjeux en lien avec les intentions déclarées du gouvernement fédéral et d’Universités Canada d’offrir réparation aux peuples autochtones pour les dérives de l’histoire.
La toile de fond politique de cette question a considérablement évolué au cours de la dernière décennie. Quand, en 2007, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Déclaration sur les droits des peuples autochtones (DDPA), le gouvernement conservateur de Stephen Harper a refusé d’y adhérer. Il venait tout juste d’abandonner l’Accord de Kelowna conclu en 2005 par l’ex-gouvernement libéral, qui avait promis d’injecter près de 5 milliards de dollars sur dix ans dans des programmes d’éducation et d’aide sociale ciblant les peuples autochtones.
Douze jours seulement après notre panel, la nouvelle ministre des Affaires autochtones du Canada, Carolyn Bennett, annonçait aux NU que le Canada retirait son statut d’objecteur et appuyait maintenant « sans réserve » la Déclaration. Ovation monstre. Les temps ont assurément changé.
Dans la foulée de la DDPA et de la publication, en 2015, du rapport de la Commission de vérité et de réconciliation (CVR), les administrations des universités canadiennes ont manifesté leur appui au principe de l’intégration des Autochtones dans la mosaïque académique. Dans un geste d’éclat, Universités Canada, qui représente les administrateurs de 97 universités au pays, a rendu public un énoncé de 13 principes en matière d’éducation des Autochtones en juin 2015. Dans ce document, l’organisme souligne que les étudiants autochtones sont sous-représentés dans les établissements d’enseignement postsecondaire et s’engage à « combler le fossé en matière d’éducation ».
Sous la direction de Justin Trudeau, le nouveau gouvernement libéral a adhéré pleinement à la DDPA, dont un article stipule que les peuples autochtones « ont le droit d’accéder à tous les niveaux et à toutes les formes d’enseignement public, sans discrimination aucune », enseignement qui doit leur être dispensé « lorsque cela est possible » dans leur langue. Du coup, les attentes à l’égard des engagements des États sur ce point montent de plusieurs crans. Il importe toutefois de noter qu’Universités Canada ne fait aucune mention des rapports de la CVR ou de la DDPA dans son document. L’organisme aborde la question de la réconciliation une seule fois, dans le préambule : « (l)’éducation postsecondaire a le potentiel de favoriser la réconciliation et de renouveler les relations entre les Autochtones et les non-Autochtones au Canada ». Universités Canada poursuit en disant que « (l)e Canada devra produire un plus grand nombre de diplômés universitaires pour répondre aux besoins du marché de l’emploi » et que « (l)es Autochtones peuvent contribuer à répondre à cette demande ». Est-ce la nouvelle version de ce que Paul Willis a appelé « l’école des ouvriers »?
L’intérêt manifesté par Universités Canada pour l’adaptation de l’éducation aux besoins du marché de l’emploi me fait penser à la confluence actuelle de ce contexte politique évolutif et d’une économie politique plus enracinée, le « gestionnariat utilitariste », comme on l’appelle parfois. L’Article 17 de la Déclaration des NU énonce que les peuples autochtones « ont le droit de jouir pleinement de tous les droits établis par le droit du travail international et national applicable », puis qu’ils ont le « droit de n’être soumis à aucune condition de travail discriminatoire, notamment en matière d’emploi ou de rémunération ». Il est ici question de droits dont jouissent des peuples autochtones autonomes, et non pas soumis à la demande sur le marché de l’emploi.
Dans la plupart des universités canadiennes, les plans stratégiques sont encore dans le droit fil des politiques de l’« université vue par les gestionnaires », caractérisée par des budgets d’austérité et la microgestion du corps professoral dans une « culture de l’audit » soucieuse de la mesure. En outre, de nombreuses administrations universitaires ne cessent de porter aux nues l’entrepreneuriat, au détriment de la recherche fondamentale menée par des érudits dans l’intérêt du public. Comme l’a déclaré Mme Gaywish pendant le panel à l’assemblée du Conseil, l’intégration des Autochtones et de leur culture dans une université détournée de sa mission sera un réel défi dans le contexte d’une austérité galopante.
Pour intégrer les Autochtones dans le milieu académique, il faut d’abord reconnaître que les peuples autochtones ont subi historiquement des préjudices qui exigent réparation. C’est un début, mais il faut aussi, de dire la professeure Gaywish, que le personnel académique autochtone jouisse des mêmes droits et des mêmes libertés qui sont aujourd’hui remis en question par beaucoup d’administrations d’universités canadiennes, adeptes du néolibéralisme. Outre un engagement « à communiquer et à collaborer » avec la communauté autochtone, la démarche d’intégration doit aussi impliquer une défense vigoureuse de la liberté académique, un respect de la gouvernance collégiale et un rejet de la précarisation du travail. C’est à ces conditions seulement, affirme la professeure, que cette intégration sera au coeur, plutôt qu’en périphérie, du milieu académique.