Un scandale, c’est comme du brocoli. Il vous laisse un goût amer dans la bouche, mais peut parfois être bon pour vous… et bon pour votre université.
Je divague? Comment un scandale peut-il se révéler un bienfait pour une université?
Je m’explique. Un scandale est souvent synonyme de grosses manchettes et de photos peu flatteuses dans les tabloïds. Pensez au maire Rob Ford ou à l’ex-membre du Congrès américain Anthony Weiner. Cependant, un scandale peut aussi contraindre une institution qui préfère généralement rester dans l’ombre à rendre compte de ses actes et décisions. Pour reprendre les paroles célèbres du juge à la Cour suprême des États-Unis Louis Brandeis : « La lumière du soleil est le meilleur désinfectant. »
Au fil des ans, les scandales ont de plus en plus envahi l’espace politique, institutionnel et social, sous le regard scrutateur constant des médias. Des journalistes inventifs se sont même inspirés de l’emblématique scandale du Watergate pour qualifier toute affaire honteuse de « … gate ». Il y a eu, aux États-Unis, le Monicagate, le Bridgegate, et dernièrement, l’Emailgate et le Deflategate, et au Canada, le Shawinigate, le Peppergate, le Duffygate et le Chakmagate (à l’Université Western).
Gros ou petits, ces scandales ont permis d’exposer très publiquement des mauvaises pratiques de gouvernance que les responsables en place auraient préféré garder secrètes.
D’autres scandales ont secoué récemment les universités canadiennes, ce qui a eu pour effet de déclencher une discussion sur le modèle de gouvernance des universités et sur la représentation appropriée des organes de gouvernance. À l’Université de la Colombie-Britannique, le mystère entourant la démission soudaine du recteur Arvind Gupta a été dissipé lorsque les professeurs et les médias locaux ont posé de sérieuses questions sur le besoin de transparence et la volonté collective de renouveler la gouvernance collégiale. À Carleton, la publication de commentaires critiques sur le blogue personnel du professeur Root Gorelick a incité le conseil d’administration à inclure une interdiction de commenter les séances publiques dans le code de conduite des administrateurs. Le refus du professeur de signer la nouvelle mouture du code de conduite a signé son retrait du conseil.
Il est ironique de voir que les administrations empressées de mettre en place des mécanismes empruntés au secteur privé pour surveiller les milieux de travail au nom de la transparence ne font pas preuve du même empressement quand elles sont directement visées. Un exemple : dans le soi-disant scandale du plan « Transform Us » à l’Université de la Saskatchewan, Ilene Busch-Vishniac a été relevée de sa charge de rectrice à la suite du congédiement du professeur Robert Buckingham. Cet ex-doyen des sciences de la santé a été expulsé du campus par des agents de sécurité parce qu’il avait écrit un commentaire critique intitulé Le silence des doyens. L’Université Western a, elle aussi, eu recours à des tactiques musclées de ce genre lors d’une séance extraordinaire convoquée par le sénat pour tenir un vote de défiance à l’endroit du recteur Amit Chakma dans la foulée des révélations selon lesquelles il avait touché un double salaire d’un million de dollars. Une photo d’un imposant agent de sécurité en civil confisquant une pancarte proclamant « Les administrateurs n’attirent pas de fonds pour la recherche, les chercheurs, OUI : #censure UWO » a fait la Une de l’édition du 18 avril 2015 du London Free Press.
Ces scandales montrent on ne peut plus clairement la contradiction entre les gestes posés par les conseils et leurs administrateurs et les valeurs fondamentales — la liberté académique et la gouvernance collégiale — du personnel académique dans les universités. Les agissements de l’un ou de l’autre ne sont pas, selon moi, le nœud du problème. L’action militante ne devrait pas cibler les personnes, mais plutôt dénoncer la logique de la transformation des universités en entreprises privées. Les universités ne sont pas des entreprises privées; elles sont des institutions publiques ayant pour mission de servir l’intérêt public général. Les scandales nous éclairent sur cette contradiction.
Les lois provinciales confèrent un grand pouvoir fiduciaire aux conseils et aux administrateurs universitaires. Toutefois, ce pouvoir est balisé et continuellement exercé sous l’œil vigilant du public. Les scandales jouent un rôle important précisément parce qu’ils minent le capital de sympathie des conseils et des administrateurs. L’emploi de tactiques musclées pour imposer la conformité et étouffer la dissension est une indication certaine qu’il y a péril en la demeure. Cette situation est grandement problématique pour les cadres universitaires qui tiennent à projeter une image de marque d’entreprise et à la protéger coûte que coûte. L’université sous la gouverne d’administrateurs ne peut exister sans une large adhésion de la population. Elle doit aussi recevoir le soutien de la société, que celle-ci peut lui retirer si elle a connaissance d’indiscrétions et d’actes illicites.
Les scandales ont parfois du bon.
Malgré leur petit côté sensationnaliste quelquefois, ils font apparaître des actes répréhensibles sur le radar du public et de chacun d’entre nous.