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Les Archives du Bulletin de l'ACPPU, 1992-2016

septembre 2016

Qui siège à votre conseil d’administration?

Board
Une enquête de l’ACPPU démontre que le secteur privé prend de plus en plus de place aux conseils d’administration des universités de recherche du Canada.

Le secteur privé étend de plus en plus son contrôle sur la gouvernance des plus grandes universités canadiennes. Banquiers, avocats, cadres de compagnies et autres acteurs du monde des affaires représentent désormais 49,1 % des membres des conseils d’administration des 15 universités de recherche.

L’enquête de l’ACPPU révèle en effet que 194 des 395 membres répertoriés en date du 1er mai 2016 venaient du secteur corporatif. Cela se compare à 165 personnes provenant de la communauté universitaire (administration, personnel acadé­mique et de soutien et étudiants), soit 41,8 %. Le reste des membres est composé de 32 personnes venant des services publics (8,1 %) et il y avait également 4 postes vacants (1 %).

« La vraie question est de savoir à quel point la corporatisation de la gouvernance a adapté les priorités des universités et des collèges au modèle du secteur corporatif, en diminuant le rôle et l’influence des étudiants et du personnel au plus haut niveau décisionnel de leur organisation », croit le directeur général de l’ACPPU, David Robinson.

Selon ce dernier, les conséquences de la corporatisation des conseils d’administration se manifestent de plusieurs façons : les institutions deviennent de moins en moins transparentes, accordent de généreux contrats avec des clauses de confidentialité à de hauts dirigeants, imposent des clauses de confidentialité à leurs administrateurs et multiplient le recours au huis clos pour leurs séances.

À l’Université Carleton, par exemple, les administrateurs ont livré un véritable bras de fer au professeur de biologie Root Gorelick, qui était alors le représentant du personnel académique au conseil d’administration et qui bloguait sur les discussions qui avaient lieu lors des séances publiques.

On a essayé de faire taire le professeur Gorelick en imposant un code de conduite interdisant à tous les administrateurs de discuter publiquement de tout ce qui était abordé au conseil. M. Gorelick a refusé de se laisser intimider, il a également refusé de signer tout document qui l’aurait bâillonné, ce qui a finalement amené au rejet du renouvellement par l’administration de son poste au conseil.

« Le problème est que l’on gère maintenant l’université comme une entreprise privée, raconte Root Gorelick. En ce sens, je trouve assez révélateur que le nouveau code de con­duite utilise le mot PDG en référence à notre rectrice. C’est écrit en tout petit, mais c’est quand même là et c’est inquiétant. »

En analysant le profil professionnel des administrateurs venant du secteur privé, on s’aperçoit que le monde des finances et de l’assurance, des professionnels et de la haute direction de compagnies publiques et privées occupe une place importante aux conseils d’administration des 15 universités de recherche. Au total, ces sous-secteurs représentent les deux tiers des membres du secteur privé.

À titre d’exemple, le conseil d’administration de l’Université McGill compte 15 personnes du secteur privé sur un total de 26 membres. De ces 15, sept sont des avocats de formation, en plus du fait que le chancelier (membre d’office) est, lui aussi, avocat dans un grand cabinet de Montréal.

Dans la même veine, le conseil d’administration de l’Université McMaster compte 19 membres du privé sur 37 sièges dont six banquiers. Quant à elle, l’Université de Calgary compte 12 personnes du privé sur un total de 20 et sept d’entre elles sont liées au secteur de l’énergie. Enfin, à l’Université de la Colombie-Britannique, on compte 10 membres du privé sur un total de 20 et trois de ces personnes, dont le président du conseil, sont des joueurs importants du secteur immobilier.

« En théorie, le fait qu’un administrateur soit indépendant de fortune et qu’il ne dépende pas de l’université financièrement est une bonne chose. Mais l’absence de processus pour sélectionner ces gens et pour s’assurer qu’ils sont réellement représentatifs de la société a fait en sorte qu’il y a eu une homogénéisation du profil de ces administrateurs », souligne Alex­andre Beaupré-Lavallée, professeur adjoint en administration de l’éducation à l’Université de Montréal.

Le chercheur constate que l’importation aveugle des modèles de gestion du secteur privé nuit aux universités. « Il y a une raison pour laquelle la plupart des universités ont une gestion bicamérale et c’est parce que l’université a besoin de ces deux points de vue pour remplir adéquatement sa mission d’enseignement, de recherche et de service public », tranche le professeur Beaupré-Lavallée.

Son collègue Abdoulaye Anne, professeur adjoint à la Faculté des sciences de l’éducation, abonde dans le même sens. Il identifie trois phénomènes qui ont contribué à la corporatisation de la gouvernance : la baisse des subventions gou­vernementales qui a forcé les universités à diversifier leurs revenus; l’arrivée nombreuse de nouveaux administrateurs du privé qui ont une mentalité différente et ne comprennent pas les concepts de liberté académique et de collégialité; et la vague de néo-libéralisme qui frappe la société dans son ensemble.

« Si rien n’est fait, on aura une université plus orientée et qui répondra à des besoins précis dictés par la main invisible du marché, insiste le professeur Anne. On va se retrouver avec des domaines qui vont payer le prix. On voit déjà que les disciplines des sciences humaines, les sciences sociales et la philosophie sont les premières perdantes quand on veut aller vers l’effi­­ca­­­cité et qu’on veut balancer les finances. »

Mais la présence du secteur privé en grand nombre n’est pas la seule coupable. Des voix s’élèvent également pour dénoncer le fait que les représentants de la communauté univer­sitaire aux conseils d’administration ne soient pas tous indépendants et libres. 

Selon la compilation menée par l’ACPPU, les membres de l’administration comptent pour 17 % des 165 postes d’administrateurs provenant de la communauté universitaire. Dans la quasi-totalité des institutions le recteur et le chancelier sont membre d’office du conseil d’administration. Il est également fréquent qu’un autre membre de la haute direction siège au conseil, c’est le cas notamment à l’Université Laval où le vice-recteur exécutif est, lui aussi, membre d’office.

« Les dirigeants des conseils d’administration des universités font en sorte qu’on nomme des gens qui adhèrent à des modèles reconnus dans le milieu des affaires, ajoute le professeur Anne. On forme des techniciens en gestion qui ne sont pas là pour poser des questions, mais pour s’assurer que la machine roule bien. On ne cherche pas des gens qui ont un esprit critique et qui vont susciter des débats. »

C’est en effet ce qu’a constaté Root Gorelick comme administrateur. « Si on a une gouvernance collégiale, si le conseil d’administration est véritablement collégial, alors tous les membres devraient être des collègues et être considérés comme égaux. À notre conseil d’administration, le président, le vice-président et tous les présidents de comité sont des membres du comité de direction. Il n’y a pourtant pas de règle qui oblige ça, mais les deux tiers des membres du conseil viennent de l’extérieur et c’est ce qui arrive. Les dés sont pipés », croit le biologiste.

« La culture du secret est de plus en plus présente au sein de l’administration de nos universités et c’est dû au fait que nos universités sont de plus en plus administrées selon les modèles des entreprises privées. L’administration veut décider seule et elle ne veut pas savoir ce que les étudiants ou le personnel académique en pensent », signale Jamie Brownlee, auteur du livre Academia, Inc.: How Corporatization is Transforming Canadian Universities et chargé de cours à l’Université Carleton.

Selon ce spécialiste de la gouvernance, il est donc peu important de se pencher sur qui siège ou non à ces conseils. « Si on regarde ce qui se passe au conseil d’administration d’une en­treprise privée, on se rend vite compte que ce n’est pas si différent. Les administrateurs vont la majeure partie du temps endosser les décisions des hauts dirigeants de l’entreprise, sinon ils vont perdre leur siège. »

Ce spécialiste de la gouvernance croit qu’il faut dénoncer le véritable problème, qui est le nouveau mode de gouvernance opaque qui permet à un petit nombre de gens de prendre des décisions en vase clos qui auront une influence sur la vie académique sans égard au principe de la collégialité. « L’administration est de plus en plus isolée du reste de la communauté universitaire et c’est ce qui est dangereux », ajoute M. Brownlee.

« Les problèmes ne sont pas nouveaux. On les observe depuis des décennies, signale David Robinson. Mais il y a un nouveau mouvement de résistance de la part du personnel aca­démique et des étudiants qui exigent une plus grande transparence, une plus grande ouverture et qui veulent défendre la mission éducative de nos institutions. »

M. Robinson souligne que le travail de mobilisation sur le campus de Western a permis de lever le voile l’an dernier sur la double rémunération de un million de dollars accordée au recteur Amit Chakma. Ce montant faisait partie intégrante d’un contrat qui avait été accordé par le conseil d’administration et qui avait même été renouvelé. Le scandale qui a suivi a galvanisé les forces de la communauté universitaire et le président du conseil d’administration Chirag Shah, un gestionnaire de la firme PricewaterhouseCoopers LLP, a choisi de quitter ses fonctions avant la fin de son mandat.

Le professeur Beaupré-Lavallée croit que les gouvernements provinciaux doivent réaliser l’urgence et comprendre qu’ils ont tout intérêt à mieux encadrer la nomination des administrateurs de nos grandes universités publiques. « Le processus de sélection devrait être garant de la diversité. C’est l’absence de processus qui a fait en sorte que le privé est aujourd’hui surreprésenté par rapport aux autres secteurs de notre communauté. »