Dans la vie d’un couple, décider ou non d’avoir des enfants est une décision importante. Choisir le bon moment peut également être une source d’anxiété. Pour la professeure Rhiannon Don, ce choix était encore plus complexe, car elle avait peur de perdre son emploi en accouchant au mauvais moment du calendrier scolaire.
« On blague souvent en disant que j’ai planifié la naissance
de ma fille de telle sorte que je puisse enseigner pendant toute
une session, prendre sept mois de congé et revenir pour l’année
académique suivante, mais ce n’est pas vraiment une blague, raconte Rhiannon Don, qui enseigne à contrat à Nipissing depuis neuf ans. J’étais inquiète que, si j’accouchais au mauvais moment, on utiliserait cette excuse pour ne pas me réembaucher. Et même si j’avais le droit de prendre un an, je ne l’ai pas fait parce que j’ai senti que je devais revenir au travail pour ne pas perdre ma place. »
Mme Don travaille à temps plein sur la base d’un contrat de
dix mois renouvelable. À chaque année, son contrat est renouvelé, mais à chaque année, elle vit dans l’angoisse. Très active au sein de son association académique, elle a participé à trois
rondes de négociations en plus de mener plusieurs campagnes
visant à sensibiliser les gens aux conditions de travail des professeurs contractuels.
« Habituellement, j’enseigne quatre cours par session, mais j’en ai cinq cette session, car on m’a appelé dix jours avant la
rentrée pour me demander d’enseigner un tout nouveau cours.
J’aurais pu dire non, mais je ne pouvais pas vraiment. Je dois
penser à la prochaine fois. Je ne veux pas qu’ils me refusent un
contrat parce que je manque de collégialité ou que je ne suis
pas très accommodante », ajoute-t-elle.
Quand il a quitté les États-Unis et son poste de chercheur
pour suivre sa femme à Halifax en 2007, Philip Bennett pensait
pouvoir se trouver rapidement de l’emploi comme professeur
d’astronomie ou de physique dans cette ville riche en établissements postsecondaires. Près de dix ans plus tard, il doit constater que le scénario ne s’est jamais matérialisé et qu’il vit toujours dans l’insécurité d’une session à l’autre en plus de souvent
avoir à cumuler des cours à Saint Mary’s, Dalhousie et au Mount
Saint Vincent durant la même session.
« Financièrement, je suis chanceux parce que ce n’est pas une
question de survie, car ma femme est professeure d’université
et qu’elle a une permanence à Dalhousie. Présentement, j’ai un
contrat de dix mois à temps plein, mais c’est la première fois
que ça m’arrive d’avoir un plein salaire. C’est frustrant de ne pas
savoir combien on va gagner. C’est difficile de planifier. Mais aussi, quand on enseigne à temps partiel, il y a un manque de
reconnaissance énorme et on a le sentiment que nous sommes
invisibles », raconte M. Bennett.
Ces exemples ne sont que la pointe de l’iceberg et ils représentent la réalité souvent cachée mais crue d’une proportion de
plus en plus importante du personnel académique sur nos campus. En effet, près du tiers des gens qui enseignent dans les universités et collèges canadiens ont un statut précaire. Sans
sécurité d’emploi et souvent sans avantages sociaux, bon nombre d’universitaires à contrat enseignent trois, quatre, voire cinq cours par session.
Pour s’attaquer à la montée de la précarisation des emplois, l’ACPPU tient depuis plus de dix ans une campagne annuelle visant à dénoncer le phénomène et à améliorer les conditions
de travail des universitaires à contrat. « Le personnel académique contractuel est mal rémunéré, bénéficie de peu ou pas d’avantages sociaux en plus de ne pas avoir de sécurité d’emploi et de ne pas jouir des mêmes droits », souligne le directeur
général de l’ACPPU, David Robinson.
Cette année, la campagne de l’ACPPU la Semaine de l’équité
d’emploi portera donc sur l’importance d’améliorer les conditions de travail des employés contractuels et comportera une
déclaration de solidarité, un sondage pour en connaître plus sur les conditions de travail des contractuels et un soutien à la campagne nationale Fight for 15 and Fairness. Il y aura aussi une série d’activités sur divers campus qui déboucheront sur une conférence organisée par l’ACPPU en 2017.
James Gerlach connaît bien le problème des universitaires
à statut précaire, étant lui-même contractuel depuis des années à Wilfrid Laurier et assumant la présidence du Comité du
personnel académique contractuel de l’ACPPU. « Il faut faire
de l’éducation auprès des professeurs permanents qui ont parfois des préjugés, auprès de l’administration, auprès des contractuels eux-mêmes qui hésitent à parler de leur statut et auprès des étudiants qui souvent ne se rendent pas compte que nous sommes des employés à contrat. Je crois qu’on doit dire aux étudiants qu’on ne peut pas les rencontrer dans notre bureau quand on n’a pas de bureau, qu’on ne sait pas quels cours
nous allons enseigner à la prochaine session, etc. »
À Wilfrid Laurier, les membres du personnel académique contractuel dispensent en moyenne quatre cours par session, gagnent un salaire de 29 000 $ par an et bénéficient de peu d’avantages sociaux. Ils représentent près de 40% du personnel académique de l’établissement, et la moitié d’entre eux enseignent depuis plus de cinq ans.
« C’est frustrant pour les jeunes qui ont complété un doctorat ou un post-doctorat et qui acceptent des contrats d’enseignement, ajoute M. Gerlach. Ils veulent avoir une permanence
et utilisent cette opportunité comme tremplin. Mais pour que
ce soit réellement un tremplin, il faut qu’ils fassent de la recherche, qu’ils maintiennent leur dossier académique en vie et
c’est extrêmement difficile de le faire quand on doit enseigner huit ou neuf cours par an. »
Rihannon Don croit que la sensibilisation de toute la communauté universitaire est la clé pour obtenir un effet de levier afin
de négocier de meilleures conditions de travail. Elle et son équipe
préparent présentement une campagne qui proposera une exposition muséale dont les œuvres seront une dramatisation
des effets de la précarisation de la profession universitaire. Par
exemple, on a demandé à un collègue qui travaille à temps partiel à Nipissing et à Trent de conserver pendant quelques jours
toutes les tasses de café en carton qu’il boit en faisant le long
trajet en voiture. « On a aussi élaboré une carte de l’Ontario avec
une étoile pour identifier North Bay et on a dessiné des lignes reliant la ville avec le lieu d’origine des contractuels qui viennent enseigner à Nipissing », indique Mme Don.
Selon David Robinson, un des enjeux majeurs de la précarisation est le fait que le personnel académique contractuel ne soit souvent pas considéré quand des postes permanents sont affichés. « Malgré le fait qu’ils aient toutes les qualifications
pour faire de la recherche dans leur champ d’expertise, les contractuels ne reçoivent souvent aucune compensation pour le
faire ou ne peuvent tout simplement pas entreprendre des travaux de recherche en raison de leur trop lourd fardeau d’enseignement. Et sans maintenir un profil de recherche actif, il
est extrêmement difficile d’avoir une carrière universitaire qui
va mener à la permanence. »
Philippe Bennett souligne lui aussi que le manque de ressources pour faire des travaux de recherche est frustrant. Il raconte qu’à Saint Mary’s, par exemple, l’administration met à la disposition des contractuels 4000 $ de fonds pour leur permettre d’assister à des conférences, mais le plafond est de 500 $
par événement, ce qui souvent ne couvre même pas le billet
d’avion. « On est assez utiles pour enseigner, mais on ne fait pas
vraiment partie du système. On n’a pas le droit ou l’opportunité
de faire des travaux de recherche et c’est injuste.»
James Gerlach abonde dans le même sens. « On nous dit qu’on
n’a pas été embauchés pour faire de la recherche ou pour rendre des services à la communauté. Pendant ce temps, on voit le nombre brut et le pourcentage de contractuels augmenter
d’année en année et on voit qu’il y a de plus en plus d’étudiants
dans nos classes. Alors qu’on enseignait à 50 étudiants avant, aujourd’hui on en a souvent 200. Le défi est grand. »