Le 6 juin 2016, les médias ont révélé qu’une universitaire canadienne venait d’être arrêtée et emprisonnée en Iran. Les collègues de la professeure Homa Hoodfar à l’Association du personnel académique de l’Université Concordia ont immédiatement fait campagne pour obtenir sa libération. Le Bulletin s’est entretenu avec le président de l’Association et professeur de génie, Ted Stathopoulos, après la libération de Mme Hoodfar le 26 septembre.
Quand avez-vous pris la décision de vous impliquer dans cette affaire?
Quand notre collègue a été emprisonnée, nous avons su tout de suite que nous devions l’aider. Nous ne savions pas comment l’aider, mais nous voulions faire quelque chose. Nous y avons tous réfléchi. Plusieurs idées ont été lancées, dont celle de sensibiliser le public. Nous avons alors décidé d’acheter une pleine page du Globe and Mail et du Devoir. L’enjeu fondamental était la liberté académique et nous devions le faire savoir.
Quelle était votre stratégie pour mobiliser la communauté académique?
Nous avons fait exactement comme si nous sollicitions un soutien à un vote de grève : nous avons contacté l’ACPPU, la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université et d’autres associations de professeurs pour obtenir leur soutien moral et financier. Elles ont répondu à notre appel de manière extraordinairement positive, tout comme l’administration de l’Université. En orga-nisant notre campagne, nous avons compris que nous devions évidemment protester contre son emprisonnement, mais avec prudence. Ne pas trop en faire. Les insultes et les mouvements de colère ne nous avanceraient à rien, bien au contraire, ils pourraient même empirer la situation.
Qu’avez-vous fait ensuite?
Nous avons envoyé des lettres officielles au ministère des Affaires mondiales, au premier ministre et aux autorités iraniennes. Nous savions qu’il était important de les faire signer par le plus d’associations de professeurs possible. Nous avons de nouveau fait appel à elles, et encore une fois, leur réaction a été incroyable, elle a dépassé toutes nos espérances. Près de 70 associations ont signé la lettre. En juillet, nous avons fait une deuxième campagne de publicité. Les membres ont recommencé à tenir des manifestations. Les quelques nouvelles que la famille d’Homa nous donnait étaient décourageantes. Le juge avait décidé de rejeter l’avocat d’Homa — figurez-vous que la justice iranienne le permet! — parce qu’il « n’était pas assez bon » et l’État lui en avait désigné un autre. Et c’est à ce moment-là qu’elle a de nouveau été jetée en prison.
Comment avez-vous amené les médias à s’intéresser à cette affaire?
Les premiers articles ont paru dans des journaux étudiants. L’administration a ensuite publié des communiqués de presse, et le téléphone s’est mis à sonner : le Montreal Gazette, les médias nationaux nous ont appelés. J’aussi été autorisé à faire une annonce devant le sénat et à partir du moment où les médias se sont saisis de l’affaire, nous avons pu faire pression sur le gouvernement canadien.
Quand avez-vous appris la libération d’Homa?
Nous étions en pleine réunion mensuelle de notre conseil syndical quand nous avons entendu la nouvelle. C’était un peu comme un conte de fées. J’ai d’abord pensé qu’ils l’avaient libérée pour des raisons de santé et j’étais inquiet, mais heureusement, ce n’était pas pour cela. En la libérant, ils lui ont redonné son passeport, elle a donc pu partir tout de suite après. Elle a atterri à Montréal trois jours plus tard. Des membres de la direction du syndicat sont allés à l’aéroport pour lui donner des fleurs. C’était un moment rempli d’émotions. Homa doit maintenant y aller doucement et se rétablir.
Pourquoi son expérience personnelle est-elle importante du point de vue de la liberté académique?
La clause sur la liberté académique inscrite dans chaque convention collective est fondamentale. C’est ce qui distingue notre profession. C’est à la base même de la permanence, la capacité de faire des recherches sur n’importe quel sujet de notre choix, d’enseigner et de diffuser publiquement nos découvertes et nos idées sans craindre de représailles. Dans le cas d’Homa, c’est clair que le gouvernement iranien a arrêté une universitaire qui faisait des recherches sur des questions qu’il n’acceptait pas. Les Iraniens ont libéré Homa, même s’ils n’ont pas reconnu leur erreur. Il me semble évident que la liberté académique était au cœur de cette affaire et que nous devons la protéger à tout prix.
Maintenant qu’Homa est de retour, qu’est-ce que vos membres et vous avez retiré de cette expérience?
Les membres du corps professoral nous ont été reconnaissants de ce que nous avons fait. Nous nous sommes beaucoup rapprochés d’eux et j’ai l’impression que nous avons établi une nouvelle solidarité. Cela a été une période très difficile, mais quand quelque chose comme cela arrive à un collègue de votre établissement, cela devient beaucoup plus réel. Beaucoup de nos membres se sont rendu compte que cela pouvait aussi leur arriver.